Manuel
pour une lecture critique des médias TECHNIQUES DE DESINFORMATION
La nécessité de se réapproprier des canaux
d'information indépendants apparaît chaque jour plus essentielle afin de développer
des points de vue alternatifs, bien sûr, mais aussi pour dénoncer les abus
d'une production de l'information totalement intégrée au circuit marchand
mondial et gérée politiquement et spectaculairement de façon à contrôler
l'opinion et les sociétés. Comprendre les enjeux de l'auto-organisation de tous
et de chacun au sein de médias indépendants, c'est se savoir désinformé, c'est
vouloir la réalité grâce à cette multitude de points de vue qui seule met en
péril la prétendue objectivité - livrée entière et avec son contraire, dénuée
de sens - toujours assenée par les médias main stream.
Encore s'agit-il de se rendre compte des
supercheries mises en œuvre quotidiennement par les professionnels de
l'information-spectacle. Le Manuel pour une lecture critique des médias a été
réalisé par une Ecole populaire espagnole de Madrid. Traduit initialement en
italien, aujourd'hui disponible en français, il permet de prendre conscience
des méthodes les plus courantes de manipulation des formes de l'information, mais
aussi des subtiles pratiques de désinformation permettant de biaiser le contenu
des articles.
On recommande la diffusion et la
reproduction de ce document (27 pages, téléchargement conseillé)
Comme je ne peux pas télécharger le
document, je le balance directement ci dessous : TECHNIQUES DE DESINFORMATION Manuel
pour une lecture critique des médias
Groupe d'Apprentissage Collectif de
COMMUNICATION POPULAIRE ECOLE POPULAIRE DE "PROSPERIDAD" Madrid, Espagne
RIGOUREUSEMENT ANTI-COPYRIGHT (Le savoir
n'a pas de patron)
On recommande et on remercie la
reproduction partielle ou mieux, complète, de ce travail par quelque moyen que
ce soit, télématique, électronique, mécanique, typographique ou autres, et sa
distribution et/ou publication massive.
Réalisé par :
ECOLE POPULAIRE "LA PROSPE"
c/Luis Cabrera, 19
28002 MADRID
Tel. : 0034 91 562 70 19
Poste électronique : prospe@nodo50.org
Page web :
http://prosperesiste.nodo50.org
SENTIMIENTOS KONTRA EL PODER (SENTIMENTS
CONTRE LE POUVOIR)
Apdo. De Correos 5
28901 GETAFE (Madrid)
@ : indiano46@teleline.es
Traduction française achevée en octobre
2003 : _ babtou@no-log.org
Texte original (espagnol) : http://www.nodo50.org/corrienteroja
Traduction française réalisée à partir de
la traduction italienne d'indymedia italia : http://italy.indymedia.org/
Manuel pour une lecture critique des médias
"Techniques de désinformation, manuel pour une lecture critique des
médias", est un texte élaboré par le Gruppo di aprendizaje
colectivo-Comunicacion popular, de l'Ecole populaire de Madrid, un centre de
culture populaire pour personnes adultes. Ecrit de façon directe et facilement
compréhensible, il aide à comprendre comment est manipulée l'information dans
les médias dominants.
La structure du récit, le choix du langage,
l'association textes-photos, sont des instruments savamment utilisés pour faire
apparaître un événement tel qu'il n'est pas, ou pour faire en sorte que
l'attention du lecteur converge seulement sur certains aspects de la nouvelle,
et en omette d'autres. En d'autres termes : pour conditionner le
lecteur/spectateur.
L'information est devenue le moyen le plus
important pour manipuler la société, atténuer le sens critique, faire croire
des choses qui ne sont pas et faire oublier celles évidentes. Ce manuel
explique comment sont réalisées ces manipulations. Pour l'heure, les exemples
sont ceux des personnes qui ont fréquenté l'Escuela popular et avaient en main
des journaux espagnols, comme El Mundo et El Pais.
Trouvons ensemble les preuves de
désinformation en France [en Italie] :
Le manuel peut se reconstruire avec des
exemples français. Que tous ceux qui peuvent poster sur le newswire (en
indiquant la mention Exemple de techniques de désinformation et, dans le
sommaire, le chapitre auquel il se réfère) articles de journaux dans lesquels
la nouvelle apparaît de façon résolument différente de celle qu'elle devrait,
articles dans lesquels un vocabulaire particulier contraint à poser l'attention
seulement sur quelques aspects de l'événement, photographies qui apparaissent
sans motif apparent, ou qui soulignent des aspects secondaires, ou bien qui
sont manipulées ou proviennent de vieilles archives. Et encore comment sont
choisis les temps de montages télévisés, pour susciter des émotions
particulières. On peut aussi ajouter des textes ou articles de réflexion qui
proposent d'autres clefs de lecture. De cette façon, il sera possible d'avoir
sous la main un panorama de l'information proposée par les médias
internationaux. A caro prezzo.
TABLE
INTRODUCTION
A) STRUCTURATION
DE L'INFORMATION DANS LE JOURNAL
1.
Localisation
et extension d'une nouvelle
1.1
Suivant la
page où elle apparaît
1.2
Selon son
emplacement dans la page
1.3
Selon son
extension
1.4
Selon la
section où elle apparaît
2.
Contour/cadre
dans laquelle s'insère la nouvelle
3.
Photographies
et autres matériels graphiques
4.
Structuration
d'un article : la "Pyramide renversée"
4.1
Titres te
sous-titres
4.2
Décontextualisation
B) LE LANGAGE
1.
Le langage
écrit
1.1
Ton/vocabulaire
orienté
1.2
"Paroles
magiques"
1.3
Association
de termes et de faits
1.4
Euphémismes
et technicismes
1.5
Expressions
orientées
1.6
Styles
narratifs
2.
Le langage
des images
2.1
Images
manipulées
2.2
Campagnes
photographiques
3.
Le langage
des nombres
C) CONTENU DE L'INFORMATION
1.
Sélection et
usage des sources d'information
2.
Fausse information
2.1
Fausse
information écrite
2.2
Fausse
information visuelle
3.
Sélection des
sujets d'information
3.1
La non
information
3.2
"Information
Eclair". Nouvelles qui apparaissent et disparaissent
3.3
La
surinformation
ANNEXE : ARTICLES PAR ORDRE D'APPARITION
(Voir la version espagnole ; pas de traduction des articles et illustrations
d'annexes ici, ni dans la version italienne).
INTRODUCTION
L'opinion publique constitue un élément fondamental pour la stabilité ou
l'instabilité du système. Et dans une société médiatique, "l'opinion
publique se forme jour après jour par le biais du bombardement continu des
moyens de communication. La vérité est ce qu'ils proposent comme vérité. Ce qui
n'est pas reporté par la presse n'existe pas, et ce qui existe n'est que dans
la forme selon laquelle elle apparaît".
L'importance des médias donne lieu d'une
part, à un fort contrôle de ceux-ci de la part de qui a le pouvoir, et d'autre
part, à la nécessité que ce contrôle passe inaperçu pour préserver l'apparence
de liberté d'information, préalable indispensable à la définition d'une société
comme démocratique.
Un troisième aspect est que la plus grande
partie des médias sont des entreprises desquelles dérivent des impératifs
commerciaux qui influent eux-aussi sur la ligne d'information. Le résultat de
l'union de ces trois facteurs est la configuration d'un système de manipulation
ample et subtil, parfois contradictoire, mais qui généralement, plutôt que
d'informer, prétend imposer une réalité par le moyen d'opinions et valorisations
présentées comme vérités indiscutables.
La récolte de ces techniques de
désinformation est le fruit de trois années de travail du Groupe
d'Apprentissage Collectif (GAC) de Communication Populaire, dans le cadre du
projet éducatif et social de l'école populaire de "Prosperidad".
Trois ans à analyser de manière critique de
nombreux articles de presse tirés des principaux quotidiens nationaux espagnols
de façon à, jour après jour, définir et élaborer critères et conclusions que
nous vous présentons sous la forme de ces techniques.
Elles sont en effet toutes apparues de
manière claire et répétitive, isolées ou combinées entre elles. Nombres d'entre
elles peuvent être appliquées à d'autres médias, télévision ou radio, même si
de façon différente car chaque moyen de communication possède ses méthodes de
désinformation dues à ses propres caractéristiques.
La subjectivité est inévitable dans toute
production intellectuelle [culturelle], c'est pourquoi, même en prétendant
donner une vision neutre et impartiale de la réalité, on ne pourra jamais être
totalement objectif. La meilleure manière de s'approcher de l'objectivité est
de montrer la réalité vue par différents points de vue, recueillant ainsi des
informations sur un même thème à travers des sources distinctes et des positions
différentes.
Donc c'est justement sur ce point que
réside un élément fondamental de la manipulation des médias : sous prétexte
d'objectivité, l'illusion de nous offrir leur vision de la réalité comme s'il
s'agissait de la réalité elle-même, en cachant toujours les intérêts qu'ils
défendent. Pour faire une lecture critique de l'information, potentiellement
objective, il est fondamental de connaître les intérêts auxquels répondent ceux
qui t'offrent cette information.
La "réalité virtuelle" construite
par les médias est donc partielle et biaisée. En général, ils donnent
couverture et priorité aux points de vue de ceux qui tiennent les pouvoirs
politiques et économiques (groupes commerciaux, grands partis politiques, gouvernements,
grands syndicats...) quand les valorisations des opinions et des intérêts des
jeunes, des personnes âgées, des travailleurs, des malades, des étudiants, des
immigrés, des employés, des organisations populaires... sont presque toujours
passées sous silence, ou reléguées, ou déformées.
La désinformation n'est pas toujours
systématique, préparée et dessinée de manière consciente et contrôlée. La
complexité des processus d'élaboration de l'information, et le vaste champ de
recueil de celle-ci, font que souvent la désinformation est le fruit de
l'incompétence du/de la journaliste qui ne connaît pas tel sujet, manque de
temps et d'espace, et de ses préjugés ou de ceux du rédacteur en chef qui
applique des schémas de travail trop simplistes ou trop sensationnels, etc...
Cependant, il ne fait aucun doute que dans d'autres cas nombreux, il existe des
campagnes de désinformation qui répondent à des intérêts économiques ou
politiques clairs, du moyen de communication ou des groupes entrepreneurs qui
le financent et le soutiennent. La majeure partie des nouvelles est distribuée
par les Agences de Presse internationales. Celles-ci sélectionnent en principe
une petite part des informations parce que 90% d'entres elles sont généralement
refusées. Autrement dit, ce qui vient à notre connaissance n'est qu'une petite
fraction de ce qui se passe dans le monde. Il est donc nécessaire de connaître
les critères de sélection utilisés pour le choix des informations et à quels
intérêts elles peuvent répondre.
N'oublions pas que ces agences de presse
sont le plus souvent de grandes entreprises nord-américaines, européennes et
japonaises qui sont habituellement étroitement liées à d'importants groupes
financiers en contact direct avec les gouvernements des pays auxquels ils
appartiennent. Logiquement, ils n'ont pas intérêt à ce que se vérifient les
échanges sociaux, ni certainement à faire connaître des événements et des
situations qui manifestent des dangers et des aspects négatifs du système ou
mettent en question sa validité.
Seulement, il n'y a pas que ces agences qui
influent sur l'information (elles ne sont que le premier filtre), il y a aussi
les banques qui financent les moyens de communication, les grands groupes
("corporations"), les entreprises qui ont des actions et qui
soutiennent l'édition (journal, radio, TV) par le biais des publicités. Et il
ne s'agit pas seulement d'entreprises : par exemple, l'Etat espagnol est celui
qui apporte le plus d'argent aux médias nationaux sous la forme de publicités
(payées avec l'argent public) ; de cette façon indirecte, on peut
"punir" ou "récompenser" les voix adverses et celles qui
sont favorables. En plus, parler de la ligne éditoriale [idéologique] des
journalistes et des rédacteurs, cela revient à dire aussi : leurs préjugés,
leur corporatisme, spécialisation excessive, fidélité à l'entreprise et
tendance à l'autocensure... qui influent sur l'orientation de l'information.
La désinformation vient par conséquent de
nombreux filtres et biais, sans qu'aucun d'eux en particulier, sinon l'ensemble
du processus, soit la cause pour laquelle l'information nous arrive manipulée
et déformée, et notamment altérée consciemment. Donc, la désinformation se
trouve tant dans ce qui est publié, que dans la façon dont on le publie.
De temps en temps apparaissent des
nouvelles critiques et discordantes dans les médias. Mais en général, ce ne
sont que des "fissures contrôlées" qui donnent crédibilité au média
en le dotant de d'une apparence de pluralité et d'indépendance, et qui sont
abondamment contrastées par un bombardement d'informations de signe contraire
(qui répondent aux divers intérêts du pouvoir) ou par une présentation qui
suggèrent un caractère lointain et anecdotique. En outre, la majorité de ces
informations discordantes, réellement critiques, apparaissent souvent sous la
forme d'opinion (colonnes, "lettres au directeur", "point de
vue") qui relativisent leur importance.
Ce dossier n'est pas centré sur les causes
et les origines de la désinformation (structure du processus médiatique,
intérêts politico-économiques...) mais sur les formes avec lesquelles se met en
oeuvre cette désinformation dans la presse, sous l'apparence d'objectivité et
d'exhaustivité du périodique. C'est la raison pour laquelle nous l'avons
sous-titré "Manuale per una lettura critica della stampa". Parce que
au-delà des inquiétudes théoriques, ce travail est guidé par un désir pratique
de fournir des instruments pour l'analyse critique.
Les techniques de manipulation qui sont ici
récoltées ne sont qu'une goutte d'eau du courant qui travestit la réalité.
Cependant, il apparaît important d'apprendre à se défendre des médias, à voir
ce qu'il y a derrière la façade (lire les articles "à l'envers")
pour, à l'arrivée, pouvoir planifier et défendre l'exigence et la nécessité
d'avoir une information au service de nos intérêts, et non contre ceux-ci.
Le dossier présent est structuré en trois
parties. Dans la première, on voit comment est organisée et hiérarchisée
l'information dans un journal (sections, extensions...), le contexte dans
lequel est présenté un article et comment sont agencés ces derniers. Dans la
deuxième partie, on analyse le langage écrit, photographique et statistique,
c'est-à-dire la forme dans laquelle les infos nous sont présentées, le style
narratif, l'usage des guillemets, adjectifs... Dans la troisième et dernière
partie du travail, on étudie le contenu des articles : leur précédent, leur
falsification, les sujets traités, ce qui sont omis et ceux qui sont exagérés.
Suit une annexe avec des articles concrets qui fournissent exemples et les
points et idées exposées (se reporter à la publication en espagnol pour les
annexes, illustrations, références du texte...).
A) STRUCTURATION DE L'INFORMATION DANS LES
JOURNAUX
1. LOCALISATION ET EXTENTION DE L'ARTICLE
Le lieu et l'espace qu'occupe une nouvelle influence de manière fondamentale
sur la perception qu'en a le lecteur, relativise son importance et favorise le
fait qu'une info déterminée puisse passer plus ou moins inaperçue en fonction
des intérêts du journal. Sous prétexte d'informer de manière détaillée sur une
grande quantité de faits d'actualité, les médias établissent en réalité une
hiérarchisation intéressée de ceux-ci, selon leur localisation et leur
extension, privilégiant ainsi certaines nouvelles et marginalisant, voire
occultant complètement, d'autres infos.
Il y a plusieurs façons de faire ressortir ou de cacher un article en fonction
du lieu et de l'espace qu'il occupe :
1.1 Selon les pages où il apparaît
Les nouvelles en couverture et dans les premières pages sont celles qui sont
lues en premier car elles ressortent entre toutes comme les plus importantes.
Elles influent donc sur le lecteur qui se voit proposer certains centres
d'intérêt présélectionnés au détriment d'autres sujets. De la même façon, on
fait plus ressortir un article si on le présente sur une page impaire car on y
prête alors plus attention (il est plus "en vue"). De fait, insérer
une annonce dans les pages impaires coûte toujours plus cher qu'en page paire,
car elle est alors plus visible.
1.2 Selon sa position dans la page
S'il est situé, par exemple, dans les angles supérieurs, surtout ceux de
droite, un article saute plus aux yeux que dans les autres positions. La
composition finale de la page peut donc finalement servir à privilégier
certaines nouvelles et à en occulter d'autres.
1.3 Selon son extension
L'ampleur d'une nouvelle, c'est-à-dire : le nombre de pages qu'un périodique
lui consacre et le nombre de jours où il reste "d'actualité" sont une
bonne mesure de l'intérêt qu'un journal accorde (et par conséquent, les
lecteurs) à un argument ou événement déterminé.
Un exemple illustrant les points antérieurs
se trouve El Mundo 27-5-99 (voir p.38) qui consacre sa couverture et ses deux
premières pages intérieures au procès de Milosevic par le tribunal de La Haye
(le jour suivant apparaît une note en première page et en page interne - voir
p.39 - de même que paraîssent des commentaires successifs quant à la question
dans les semaines suivantes). _ Parallèlement, la requête que la Yougoslavie
présente à ce même tribunal contre l'Otan ne mérite dans le même journal, au 3ème
jour de juin, qu'une demie colonne en page (paire) interne (voir p.40).
1.4 Selon la section dans laquelle il
apparaît
Tout journal est subdivisé en sections basées généralement sur deux critères
distincts : Sections d'envergure : Opinion, International, National, Régional,
comprenant aussi le local. Elles déterminent l'importance ou la portée d'une
nouvelle.
Sections spécialisées : Société, Culture, Economie, Sport, etc. Elles
déterminent le caractère ou l'interprétation que l'on fait d'une nouvelle. Cette
subdivision de la réalité n'est pas impliquée par les faits, mais dépend du
critère subjectif [des choix éditoriaux] de tout journal. _ En théorie, la
subdivision en sections est faite pour ordonner l'information et faciliter sa
compréhension.
Cependant, outre le propos d'organiser l'information, assigner telle ou telle
nouvelle à telle ou telle section a le plus souvent une influence capitale sur
son importance et sa diffusion, ainsi que sur l'interprétation que l'on en
fait.
a) Effets sur l'importance et la diffusion Les sections n'ont pas toutes la
même importance en ce qui concerne la diffusion, elles ont au contraire une
hiérarchisation. Quanto prima si ponga una sezione, normalement ses nouvelles
ressortiront plus. L'ordre des sections varie selon les journaux mais c'est en
général : Opinions, National, International, Société, Culture, Régional
(diffusion qui n'outrepasse pas la région correspondante), Economie.
L'emplacement d'une nouvelle dans telle ou telle section, s'il peut souvent
apparaître comme raisonnable, résulte dans d'autres cas d'un choix arbitraire
et discutable. Ainsi le choix d'une section peut avoir l'effet de mettre en
valeur ou d'éclipser totalement un événement.
Par exemple, la section Opinions (qui contient les éditoriaux, les chroniqueurs
et les humoristes les plus prestigieux) est, par son emplacement, une des plus
lues de toute édition. Or, le critère pour décider si un fait mérite ou non
d'être commenté dans les Opinions, ou comme "sujet du jour" dans les
éditos, est totalement arbitraire. _ Il s'agit simplement de ce que [la
rédaction du] journal considère comme le plus important, le plus considérable.
Dans le cas des autres sections, même si les critères d'emplacement sont
habituellement plus clairs, on peut également trouver un certain degré
d'arbitraire. Il est par exemple arbitraire et intéressé que l'on attribue une
importance nationale aux innombrables déclarations des politiques, le plus
souvent extraites de leurs continues disputes, luttes, stratégies politiques,
alors que les mobilisations sociales importantes sont quasiment toujours
reléguées à des sections plus "discrètes" comme Société, Régional (et
donc non diffusées hors de la région en question) voire incluses dans Economie.
Par exemple, El Paìs du 25/4/00 donne une portée nationale (et internationale,
pour ceux qui lisent ce journal à l'étranger, voir p.41) aux déclarations du
chef politique nationaliste basque Arzallus, alors qu'elles sont tirées d'un
discours tenu lors d'une fête régionale. Dans le même temps, la contestation
des agriculteurs de tout le pays qui se réunissent à Madrid pour manifester
leur mécontentement pour la hausse des prix de l'essence, n'est pas rapportée
par le journal (il Diario 16 ? ? ?) du 4/5/99 (voir p.42) dans la section National
mais dans la section Madrid, raison pour laquelle la diffusion et la résonance
d'une protestation à caractère national ne dépasse pas dans ce cas un cadre
régional restreint.
D'un autre côté, outre les effets sur la diffusion d'une nouvelle, ranger un
événement dans la section National ou Régional influe logiquement sur l'idée
qu'un lecteur se fait de son importance, comme quelque chose d'anecdotique ou
comme quelque chose d'intérêt pour tout le pays.
Pourtant, on peut vérifier un effet inverse dans la relation entre les sections
International e National. Bien que les deux aient la même diffusion,
l'inclusion d'un article dans International peut aussi provoquer un effet
d'éloignement avantageux sur les questions incommodes et délicates. Ainsi un
fait important qui nous intéresse peut être présenté comme "distant",
étranger à notre réalité la plus immédiate et donc perçu comme peu important.
Cela se produit d'habitude en ce qui concerne les réunions et accords des
organismes internationaux sur des thèmes militaires (OTAN, OCDE), économiques
(FMI, OMC) ou alimentaires (par exemple, les discussions sur les aliments
transgéniques résonnent comme un débat "lointain" qui se déroule
"en dehors de nous" quand, en réalité, nous en consommons depuis
longtemps).
b) Effets sur l'interprétation Pourtant, c'est surtout dans l'emplacement à
l'intérieur des "sections spécialisées" que le journal offre sa
propre interprétation des faits, chacune de ces sections apportant finalement
un point de vue particulier. Elles sont à diffusion nationale mais ressortent
finalement toujours plus marginales que les "sections d'envergure"
National ou International : dans la hiérarchie, elles se situent toujours après
les celles-ci.
En outre, ce sont en apparence des sections destinées à un public "plus
averti, plus spécialisé", ce qui les rend encore plus marginales (comme la
section Société, véritable "fourre-tout" dans lequel sont mélangées
nouvelles d'intérêt social et découvertes scientifiques, curiosités sans
intérêt et anecdotes morbides) ou encore plus restreintes (comme la section
Economie/Affaires qui utilise un jargon difficile plein de technicismes).
Ainsi il arrive que l'on donne moins d'importance à certains faits d'intérêt
général en les situant dans des sections spécialisées comme Société, ou en
restreignant leur lecture (et donc leur diffusion) à un "public
sélectionné" en les plaçant en Economie.
Par exemple, El Paìs du 30/5/99 (p.43) publie dans la section Economie/Affaires
une page entière dédiée à la Turquie sous le titre "Malgré tout,
Expotecnia voyage à Istanbul". En lisant l'article, on découvre qu'il ne
s'agit pas seulement de données économiques et commerciales mais aussi
d'informations très détaillées sur le pays en question : situation politique,
relations avec l'Espagne, problème kurde, conflit avec le gouvernement basque
sur l'intention de celui-ci de donner résidence au gouvernement kurde en
exil... Autrement dit, des faits de clair intérêt général et non purement
commerciaux, comme le suggère la section dans laquelle est située l'article. Sa
lecture est pourtant a priori restée limitée aux économistes et entrepreneurs.
Un autre bon exemple est la nouvelle de la découverte que l'Etat suédois a
appliqué des politiques de "amélioration raciale de masse" (moyennant
la stérilisation de personnes considérées comme inférieures pour éviter leur
reproduction) pendant plus de 40 ans et jusqu'à il y a quatre ans. Un fait plus
que scandaleux que le journal ABC du 29/3/00 (p.44) relègue à la fin de la
section Société, à côté d'un incident de skieurs en Autriche et de morbides
informations sur les rites criminels d'une secte apocalyptique africaine. La
nouvelle passe ainsi presque inaperçue et est interprétée en conséquence de
façon anecdotique et morbide.
En général, l'inclusion d'un fait dans une section spécialisée suppose qu'on
lui donne un point de vue déterminé, spécifique, écartant par là même d'autres
interprétations qui pourraient être également ou plus valides.
Par exemple, l'ABC du 1/6/99 (p.45) inclue dans la section Economie un article
intitulé "Appel à la grêve des mineurs pour aujourd'hui et demain",
donnant un traitement exclusivement économique à l'événement. Ainsi ne sont
traités ni les aspects humains, ni le caractère de la contestation, ni les
formes sociales et les conditions de travail des mineurs.
Pour résumer, un même fait peut être orienté vers des publics très diversifiés,
et interprété de manière très différente selon la section spécialisée dans
laquelle on l'inclut.
Pour terminer, une bonne façon de surdimensionner un fait et de porter
l'attention sur celui-ci est de l'inclure contemporainement dans plusieurs
sections du périodique de manière à ce qu'il arrive à tous les lecteurs. Par
exemple, en répétant les succès économiques d'un gouvernement simultanément
dans Opinions, International, National, Société, Economie, et en l'incluant
dans le supplément de l'édition dominicale. De nombreux événements peuvent être
affrontés et interprétés par divers aspects et points de vue, mais les journaux
ne favorisent ce large traitement que lorsque cela leur semble particulièrement
intéressant.
2. CONTOUR/CADRE DANS LEQUEL EST INSERE
L'ARTICLE
Le cadre dans lequel s'insère un article, c'est-à-dire les autres articles,
avec les titres et les photos qui l'entourent, peut largement influer sur son
interprétation. La majeure partie des fois, le choix du cadre est assez
aléatoire et répond à la logique des sections thématiques, de l'espace disponible,
etc... Cependant, plus souvent qu'on peut le penser, les pages sont
"dessinées" (sélection et emplacement stratégique des articles,
photos, rédaction des titres...) pour que les contours influencent sur la
perception d'une nouvelle, renforçant ainsi le "message" négatif ou
positif de celle-ci en la démentant, en la couvrant ou au contraire en
l'appuyant. Le "dessin" de la page, dans son ensemble, peut se
convertir en mécanisme très subtil d'interprétation de la réalité, provoquant
l'association plus ou moins consciente d'idées et de nouvelles qui, formellement,
fonctionnent de façon autonome et ne sont explicitement pas en relation.
Un exemple clair se trouve dans El Paìs du 24/12/98 (p.46). La couverture
rapporte "Barrionuevo et Vera sortent aujourd'hui de prison après la
remise de peine du gouvernement", c'est-à-dire, ils sont libérés malgré la
démonstration de leur implication dans le terrorisme d'Etat des GAL
(organisation illégale mais tacitement tolérée de policiers et de "garde
civile" espagnols qui se consacrent à persécuter et assassiner des suspects
appartenant à l'ETA). Cet événement est présenté au-dessus de la photo de
couverture, relative à une autre question, avec la didascalie suivante :
"Désormais, il n'y a plus de détenus de l'ETA sur les îles Canaries",
et montre une auto de la "Guardia Civil" (corps de police similaire à
la Gendarmerie) à côté d'un avion militaire. Deux articles de colonnes
complètent le cadre d'ensemble : le premier, la démission de deux ministres
britanniques pour avoir détourné un emprunt, le second sur la condamnation pour
corruption de l'ex-vice-président belge. Cette composition n'est pas due au
hasard : la remise de peine et la libération de deux ex-membres du gouvernement
espagnol pour crime de terrorisme d'Etat est indubitablement un événement
scandaleux que l'on prétend neutraliser de deux façons différentes. D'une part,
on veut affirmer qu'on agit de façon également bienveillante quant au
terrorisme de l'ETA, grâce au rapprochement de certains détenus. D'autre part,
on montre la "normalité" de la corruption des politiques, y compris
dans des "pays démocratiques" comme la Grande Bretagne et la
Belgique.
Un autre cas d'usage de manipulation de la mise en page est l'habituel
emplacement des nouvelles sur les occupations (évacuations violentes, procès,
manifestations conflictuelles...) dans la section National côtoyant des
articles sur Jarrai et la "kale borroka" (violences et vandalisme
urbains perpétrés par l'ETA au Pays Basque), selon une technique
gouvernementale qui veut associer des phénomènes différents, en présentant
notamment le mouvement des centres sociaux (squats) comme infiltré et généré
par les protagonistes de la guerriglia urbaine basque. Etant donné l'absence de
preuves dans le domaine, on fait usage de techniques manipulatives comme
celle-là.
3. PHOTOGRAPHIES ET AUTRES MATERIELS
GRAPHIQUES
Comme les titres, les photos et autres matériels graphiques (dessins, schémas,
cartes...) sont des éléments d'article qui attirent particulièrement
l'attention. Sans doute, le fait d'ajouter une photo à un article, comme la
grandeur de celle-ci, influe grandement sur la visibilité du fait rapporté.
C'est une autre technique utilisée par les quotidiens pour imposer ce qu'ils
considèrent comme des faits intéressants et écarter ceux qui ne les intéressent
pas.
Un exemple très fréquent de cet attitude sont les articles qui se réfèrent aux
dernières nouvelles de quelque scandale politique ou déclaration officielle
qui, le plus souvent, incluent la photo du/de la ministre ou du/de la politique
en question, alors qu'ils sont en général plus que connus des citoyens moyens,
raison pour laquelle la photo ne remplit aucune fonction informative ou
vérificatrice, mais sert simplement à fixer l'attention du lecteur et à mettre
en valeur l'article en question.
Un bon exemple de ce procédé est offert par le journal ABC du 17/5/99 (p.47)
dans un article d'accusations et de corruption politique dont le protagoniste
est le premier ministre espagnol Aznar ; l'article est accompagné d'une photo
du même Aznar. La photo n'ajoute absolument aucune information supplémentaire,
notamment car son visage est suffisamment connu. Qui plus est, elle n'a pas été
prise au moment de ces accusations, mais est tirée d'archives. Evidemment, dans
ce genre de cas, l'unique fonction de cette photo est de faire ressortir la
nouvelle en attirant l'attention du lecteur.
4. STRUCTURATION D'UN ARTICLE : "LA
PYRAMIDE RENVERSEE"
Pour que l'information, donnée dans un article soit pleinement compréhensible,
elle doit répondre aux six questions basiques : quoi/qui/comment/quand/où/pourquoi
? Les réponses (normalement données dans cet ordre consacré) devraient
apparaître au fur et à mesure de l'article, mais les médias ne prêtent pas
systématiquement la même attention aux différentes demandes.
Cette hiérarchisation des questions, qui privilégie l'information que le média
considère comme la plus importante, est définie dans le vocabulaire
journalistique comme la technique de la "pyramide renversée", qui est
la forme classique de rédaction d'un article, celle que l'on enseigne dans les
facultés et écoles de journalisme. La pyramide renversée structure l'info de la
manière suivante : 1. Titre et sous-titre (surligné en gras) 2. Le fait central
de l'article 3. Antécédents et conséquences (contextualisation)
4. Autres données complémentaires
(élargissement et relation à d'autres faits)
Selon ce schéma, la chose la moins
importante est le contexte (le "pourquoi") dans lequel se produit le
fait et son interaction avec d'autres événements, c'est-à-dire ce qui, selon la
pyramide renversée, peut être relégué en fond d'article. A cause de la grande
quantité de nouvelles que contient le journal, la plupart des lecteurs ne
lisent que les titres et sous-titres, où ressortent le "quoi" et le
"qui". Autrement dit, on tend à décrire un fait isolé, pris hors de
son contexte et des réalités qui le meuvent. Or, peu de gens arrivent jusqu'à
la fin de l'article (à moins d'être particulièrement intéressé), raison pour
laquelle le contexte et les autres données complémentaires sont en général
condamnés à passer assez inaperçus.
D'autre part, quand le/la rédacteur/trice en chef a des problèmes d'espace pour
cadrer tous les articles dans une même page, il/elle taille toujours les textes
en commençant par la fin, c'est pourquoi la première chose qui disparaît est la
contextualisation et l'interaction avec d'autres faits. Cette façon de
structurer et de traiter l'événement rend difficile la pleine compréhension de
ce qui s'est passé, on peut ainsi voir comment la même logique de rédaction
d'un journal tend à sacrifier les éléments qui devraient normalement permettre
de comprendre plus profondément la réalité des faits : causes et contexte des
faits, relation à d'autres événements...
Pour les mêmes motifs, on tend à souligner exagérément les choses les plus
anecdotiques : le "quoi" immédiat (événement pris de façon isolée),
le "qui" (personnifiant excessivement les faits, créant des
personnages publics d'actualité) et le "comment" (les détails
visibles et spectaculaires de l'événement). Tout cela est particulièrement à
l'œuvre dans l'information traitant des conflits et mouvements sociaux.
4.1 Titres et sous-titres
Les titres mettent en valeur les aspects de l'article que l'on veut faire
ressortir. Avec les photos, ce sont les éléments les plus visibles d'un article.
En tant que synthèse (une phrase), le titre ne laisse pas d'espace à la nuance,
à l'explication, il est toujours assez simpliste et recherche souvent le
scandaleux dans le but de focaliser l'attention.
Un fait curieux est que, parfois, les titres et sous-titres ne correspondent
pas au contenu réel de l'article (le corps du texte), et peuvent aussi finir
par falsifier les faits rapportés. Etant donné que, comme on l'a déjà dit, il
est prouvé que la majeure partie des lecteurs lisent principalement les titres
et quelques sous-titres (s'il y en a) et ne lisent que peu d'articles entiers,
l'idée qu'ils se font de nombreux sujets est déterminée par une lecture très
superficielle qui peut ressortir déformée. Le fait que les titres soient plus
manipulateurs que les textes a donc un grand effet de désinformation. Ce cas
est très clair dans El Paìs 17/4/99 (p.48). _ Le titre de la colonne dit :
"Le Pentagone suspecte Belgrade de tenir un arsenal chimique". Au
contraire, avec surprise, le contenu de l'article dénonce l'utilisation
constante par le Pentagone de propagande et de "tuyaux" (difficile à
confirmer et infirmer) fournissant à la presse des "suspects" de
divers types comme une arme pour criminaliser certaines personnes ou pays
(Milosevic en l'occurrence, Saddam Hussein...) dans le but de justifier la
guerre devant son opinion publique. L'article qui rend compte de cette
désinformation réalise en fait la même manipulation, surtout pour les lecteurs
qui ne lisent que le titre de l'article.
Un autre bon exemple est le titre de El Paìs du 13/2/99 (p.49) qui valorise
indéniablement l'échec de la tentative de IU (Izquierda Unida, parti de gauche
espagnol) de recueillir 500.000 signatures en faveur de la loi des 35 heures.
Pourtant, en lisant le texte de la nouvelle, on apprend que le terme de recueil
des signatures n'est pas arrivé, raison pour laquelle on ne peut aucunement
dire l'initiative est un échec. De fait, trois mois plus tard, le 23 mai, IU
aura recueilli jusqu'à 700.000 signatures.
4.2 Décontextualisation
Même dans le cas où un article répondrait aux 6 questions de base nécessaires à
la compréhension d'un événement, le "pourquoi" peut aussi être
expliqué sur les bases de raisons immédiates et accessoires sans permettre
réellement au lecteur de comprendre la situation originelle du fait.
En effet, la réalité a beau être extrêmement complexe et diversifiée, les faits
ont beau ne jamais se produire de façon isolée, la presse les présente
habituellement comme des faits indépendants, sans relation aux autres questions
et aspects d'une même réalité qui, le plus souvent, sont leurs causes et
origines. Le contexte passé et présent d'un article est fondamental pour
comprendre et analyser une réalité et, à partir de ces analyses, évaluer la
situation et former une opinion sur l'événement. Dans la mesure où le lecteur
manque des éléments permettant de penser l'origine et l'ampleur d'un fait et de
se faire sa propre opinion, il sera plus facile au journal d'imposer la sienne.
La décontextualisation peut être de deux types :
a) décontextualisation historique : omission d'antécédents politiques,
économiques... qui permettent d'analyser et de comprendre faits et situations
actuels.
b) article-puzzle : dispersion et fragmentation des différents aspects et
causes/conséquences d'un même fait. La fragmentation peut se faire tant dans le
temps (publication à des dates distinctes) et/ou dans l'espace (en éparpillant
le même fait dans les différentes sections en fonction de ses différents
aspects), éloignant ainsi l'événement de son contexte actuel.
Un exemple de la façon qu'a cette structure pyramidale de compliquer la
compréhension globale des faits se trouve dans Diario du 16/7/99 (p.50). _
L'article a pour titre : "Le président de l'Equateur cède à la
contestation et baisse le prix de l'essence. Les quatre premiers paragraphes et
une partie du cinquième (et dernier) se contentent de répondre aux six demandes
de base : en Equateur (où ?) le Président Jamil Mahuad (qui ?), à la fin (quand
?) cède à la contestation en réduisant et gelant le prix de l'essence (qui ?
comment ?) avec pour objectif (pourquoi ?) de calmer les tensions sociales et
de favoriser la reprise du travail par les transporteurs en grève, les
indigènes, les syndicats et autres secteurs sociaux Jusque là, il ne fait rien
d'autre que de compléter le titre avec des données illustratives mais peu
explicatives, comme le pourcentage de la dernière augmentation de l'essence, le
jour exact pendant lequel les routiers commencèrent la grève, le temps envisagé
pour la congélation des prix... Cependant, on n'explique à peine pourquoi les
indigènes sont en train d'assiéger les villes. Ce n'est qu'à la fin, dans les
quatre dernières lignes, donc pour les lecteurs patients et intéressés qui
lisent les articles jusqu'au bout, qu'une phrase, "[...] renonce à
certaines manœuvres", introduit l'idée que les protestations ne concernent
pas que la hausse des prix de l'essence, mais bien un plan de manœuvre
politique et économique de l'Etat. Celui-ci est imposé à l'Equateur par des organismes
financiers internationaux comme le FMI et la Banque Mondiale et comprend très
certainement d'importantes réductions des dépenses sociales et d'imposition
agricoles et industrielles qui détériorent la situation économique de
populations déjà très appauvries.
Malheureusement, tout ceci, qui nous donnerait les clefs pour comprendre
réellement l'origine de ce qui se passe en Equateur, nous ne pouvons que le
supposer puisque, dans ce cas, le journal ne donne pas l'espace nécessaire à la
compréhension du contexte, au moins lorsqu'il prétend informer sur la
"réalité" d'un pays dans une section aussi lue que la section
International. En fait, plusieurs données permettant de bien mieux percevoir
ces faits se trouvent dans El Paìs du 25/7/99 (p.54), mais dans le supplément
Affaires destiné aux entrepreneurs et "spécialistes" économiques.
Ainsi, le conflit politique et populaire y est défini comme un "obstacle à
la stabilité économique du pays" (à prendre en compte pour les opposants),
ainsi qu'apparaissent des données de fond qui font comprendre les causes du
soulèvement populaire, comme les accords du pays avec le FMI ou l'imposition
d'un assainissement financier d'un coût 2.500 millions de dollars.
Un bon exemple de décontextualisation à puzzle se trouve dans El Paìs du
11/11/98 (p.52) : sur la couverture de la section Economie/Travail apparaît
l'article intitulé "Le gouverneur brésilien taille 40% du budget des
dépenses sociales". L'article, plein de chiffres et de pourcentages,
manque de toute contextualisation permettant de comprendre la situation.
Principalement, pourquoi ne sont pas mentionnés les raisons d'une telle
diminution du budget, c'est-à-dire les antécédents du fait : qu'est-ce qui
pousse le gouvernement brésilien à réduire de façon aussi brutale les dépenses
sociales ? Il s'agit d'un article rédigé en dehors de son contexte et pour la
majeure partie des lecteurs, il reste une information anecdotique et peu
compréhensible.
Quatre mois plus tard, dans le même journal et la même section, El Paìs 09/03/99
(p.53), apparaît un article intitulé "Le FMI durcit les conditions d'aide
pour le Brésil". De nouveau, il s'agit d'un article ultra technique, plein
de références macroéconomiques à la situation brésilienne et aux impositions du
FMI. A cette occasion, la décontextualisation se produit en ne mentionnant à
aucun moment les conséquences sociales des dures mesures économiques imposées
par le FMI. Pour cela, le lecteur ne peut apprécier l'entière pertinence d'une
telle nouvelle, qui reste donc difficilement compréhensible.
Ainsi, si nous allions les deux articles qui se réfèrent à deux faits
artificiellement séparés alors qu'ils participent tout deux du même phénomène,
on réussit à recomposer une partie du puzzle et à mieux comprendre ce qui se
passe au Brésil ou en Equateur. Il semble cependant que El Paìs ait voulu
éviter ce rapprochement en ne faisant, d'une part, aucune allusion à la
responsabilité du Fonds Monétaire International dans les draconiennes
réductions budgétaires et, d'autre part, en ignorant les conséquences sociales
des mesures imposées par cet organisme international sur les populations
concernées.
B) LE LANGAGE
1. LE LANGAGE ECRIT
La rédaction d'un article occulte souvent, derrière l'apparence de neutralité
et d'objectivité, l'appréciation du/de la journaliste et du média pour lequel
il/elle travaille. On peut distinguer plusieurs techniques de glisser,
moyennant le seul usage de l'expression écrite, l'opinion des rédacteurs sur
l'information qu'ils présentent :
1.1 Ton/langage orienté
L'usage, selon les cas, d'un ton triomphaliste, péjoratif ou de condamnation
unanime, présentant comme indiscutable l'évaluation positive ou négative d'un
fait à travers le langage, pour réduire tout doute ou débat quant au problème.
On trouve un exemple semblable dans El Paìs du 3/6/99 (p.54) dans l'article
"Anguita appelle les sept millions qui dirent Non à l'OTAN", dans
lequel le journaliste introduit de nombreuses expressions péjoratives et
ironiques qui ridiculisent le protagoniste en question et délégitiment en outre
ses projets (voir souligné).
Une autre manière plus subtile de
discréditer certaines initiatives repose sur l'emploi des guillemets. Non pour
retranscrire une déclaration comme nous verrons dans le point sur "les
sources d'information" mais pour mettre en doute un terme ou un fait.
Ainsi, les articles qui se réfèrent aux occupations mettent systématiquement
l'expression "Centre Social" [équivalent espagnol et italien des
squats, bien que les centres sociaux aient souvent une vocation d'organisation
politique plus marquée que les squats en France] entre guillemets, alors que ce
n'est jamais le cas lorsqu'il s'agit d'un centre social ou culturel de la
commune. On constate le même fonctionnement avec l'expression Ecole Populaire,
mise entre guillemets dans les articles contrairement aux écoles publiques ou
privées. Evidemment dans ces cas, et dans beaucoup d'autres, les guillemets ont
pour fonction de discréditer leur contenu.
1.2 "Paroles magiques"
La création et l'imposition d'une opinion moyennant ce que nous avons appelé
les "paroles magiques", c'est-à-dire des termes à connotation
positive (développement, croissance, technologie, Europe, modéré,
compétitivité, emploi, flexibilité) ou négative (primitif, radical, illégal, fondamentaliste,
protectionnisme). Ceux-ci sont utilisés de façon si répétitive dans certains
discours et contextes qu'ils finissent par assumer pour leur compte un sens,
une "valeur ajoutée" de sens, une connotation qui va bien au-delà de
leur propre signification.
Le résultat pratique est que, une fois généralisée la "parole
magique", il suffit de l'associer à n'importe quel thème pour l'imprégner
de sa valeur. Ainsi, pour présenter la liquidation du secteur public comme une
évolution positive, il suffit de faire ressortir (si possible dans les titres)
que ce désengagement va générer plus de compétitivité, plus de croissance, et
que cela nous rapprochera plus de l'Europe. Et pour légitimer l'investissement
multimillionaire de l'Etat dans l'armement, il suffit de souligner la quantité
d'emplois générés par cette politique. En échange, pour criminaliser toute
initiative ou action des mouvements sociaux ou populaires qui mettent en
question le système dominant, on use et abuse de termes comme
"radicaux", "ultra", voire même "terroristes".
1.3 Associations de mots et de faits
Certaines paroles sont en outre associées à des collectifs ou personnes
déterminés ("des jeunes radicaux" ou "des jeunes violents"
[on dirait en France "des jeunes des cités" ou "des
casseurs"], "radicalisme basque", "force [=armée]
humanitaire", "intégralisme/radicalisme arabo/islamique") de
façon à ce que la mention d'une seule des deux paroles finisse par évoquer
automatiquement l'autre.
Dans d'autres cas, la manipulation se produit par l'association répétée de
certains contenus avec des faits déterminés. Le meilleur exemple en sont les
cas d'actes délictueux qui ont comme protagonistes immigrés dans lesquels on
souligne systématiquement (le plus souvent dès le titre) la nationalité et la
condition de l'immigré/e. Même si en principe les articles ne stabilisent pas
de relation explicite et directe entre le fait d'être immigré et la
délinquance, on génère par répétition une étroite association entre
l'immigration et la délinquance, favorisant ainsi l'alarme sociale, la peur, la
xénophobie et le racisme.
1.4 Euphémismes et technicismes
Ils ont l'effet de banaliser, d'adoucir ou de réduire la valeur, le sens d'un
mot, d'une expression en le présentant dépourvu de son propre sens. Par
exemple, présenter un certain armement comme produit de la haute technologie,
en utilisant des expressions euphémisées telles que "dommages
collatéraux" au lieu de morts civils lorsqu'on parle de guerre,
"forces de l'ordre" au lieu de forces de police ou forces répressives,
"intervention aérienne ou terrestre" plutôt que bombardements ou
invasion, "maltraitance ou violence domestique" au lieu d'agression
ou violence masculine, etc... On a un bon exemple dans un article de El Mundo
du 23/12/97 (voir p.56) intitulé "Santa Barbara termine la création de
l'obus le plus avancé du monde", qui présente un nouvel armement comme
s'il s'agissait de la publicité du dernier modèle d'une voiture. Le texte,
plein de technicismes, souligne ses qualités et ses prestations techniques, sa technologie
d'avant-garde, cependant il ne souligne pas la capacité destructive de l'arme,
ni le prix qu'elle coûtera aux pays qui prétendent l'acquérir, ni dans quelle
type de guerre et à quelles fins on souhaite l'utiliser...
Dans d'autres cas, l'emploi d'un certain langage technique [qu'on a nommé
"technicisme", bien que ce soit un néologisme], comme le jargon
judiciaire, administratif, ou de professions complexes déterminées peut
empêcher la majeure partie des lecteurs de comprendre le sens de certaines
nouvelles (comme on l'a vu pour El Paìs du 11/11/98 et du 9/3/99). Dans le même
temps, avec l'utilisation de termes techniques et spécialisés, on prétend
revêtir l'information (avec les interprétations et opinions qu'elle génère)
d'autorité et d'objectivité en s'appuyant sur le caractère d'indiscutabilité
habituellement attribué à toute réalisation scientifique.
1.5 Expressions orientées
Sans qu'elles soient précisément, réellement, des euphémismes, ils existent des
"phrases toutes faites" qui tendent à se répéter dans le langage
journalistique et qui servent à orienter dans un certain sens la description
apparemment objective de faits particuliers.
Les exemples sont innombrables, et il vaut la peine d'en rapporter quelques uns
:
Ainsi, pour justifier les charges de police lors de manifestations, on utilise
machinalement les expressions suivantes : "les forces de l'ordre se sont
vues dans l'obligation de disperser les manifestants", ou [les
manifestants, les faits, la manifestation] "a provoqué la charge de la police".
De cette façon, on décharge systématiquement la responsabilité de la violence
sur ceux qui prennent les coups.
Quand il n'y a eu ni violences, ni charges, de nombreux comptes-rendus de
manifestations finissent avec des expressions du genre : "Il n'y a pas eu
d'incident". La formule n'est pas innocente car elle semble indiquer la
chose comme un fait exceptionnel. Cela revient à dire qu'en soulignant qu'il
n'y a pas eu d'incident, on veut faire comprendre que la normalité serait le
contraire, et ainsi on confère subtilement une image violente à certains
mouvements de masse ainsi qu'à certains groupes ou collectifs.
De même, l'expression : "Sources bien informées" est le plus souvent
utilisée pour donner crédit à des informations extraites de sources qu'on ne
peut ou ne veut divulguer, de sources suspectes, de rumeurs ou d'informations
directement inventées.
Le conflit basque, tant contaminé par la désinformation, a "lancé la
mode" dans les médias officiels de l'usage d'expressions orientées mises
en opposition : "violents" et "démocratiques", la première
comprenant toutes les expressions du nationalisme basque, de l'ETA à ceux qui
votent ou sont sympathisants du MLNV (Mouvement de Libération Nationale
Basque), et la seconde pour tous les autres avec le PNV (Parti Nationaliste
Basque) qui gravite entre les deux étiquettes en fonction des moments
politiques. Un concept aussi vaste et ambigu que celui de "violence"
est ainsi attribué de manière si répétitive, si simpliste et absolue à un
mouvement politique (du reste très varié et de tendances multiples et opposées)
que l'inquiétante campagne d'information est en train de réussir dans le fait
qu'il suffit de citer l'adjectif "violents" pour identifier tout le
mouvement nationaliste basque, le transformant en synonyme de violence. Tous
ses opposants sont en conséquence "démocrates" ou
"pacifistes". N'oublions jamais que c'est l'Etat qui a le monopole de
la violence, comptant des milliers de personnes payées et employées pour l'exercer
sous la forme d'euphémismes comme "sécurité", "défense",
"ordre"• Les "bleus" [expression synonyme de "policiers"
en espagnol] sont autant payés pour le contrôle violent de la société que pour
provoquer la violence ; les soldats, eux, pour résoudre violemment des conflits
internationaux en faveur des intérêts économiques et du pouvoir des élites. La
légitimité institutionnelle et médiatique de l'attribution de l'adjectif
"violent" à tout collectif est donc à mettre en doute et critiquable.
Dans le cas présent, certains secteurs du MLNV utilisent des méthodes violentes
autant que l'Etat espagnol, entre autres stratégies, pour satisfaire leurs
objectifs.
1.6 Styles narratifs
Pour écrire certaines nouvelles, on utilise divers styles narratifs (épique,
lyrique, satirique, publicitaire), cherchant ainsi de générer un sentiment de
consensus ou de refus autour de faits qui, s'ils n'étaient narrés de cette
façon, pourraient susciter chez le lecteur des impressions malvenues.
Un clair exemple se trouve dans "Petite histoire d'un aviateur
nocturne" ; article de El Paìs du 30/5/99 (voir p.57), dans laquelle est
utilisé un style à la fois épique et poétique pour décrire un bombardement. Le
journaliste laisse aller sa prose jusqu'à convertir un épisode de guerre en
aventure romantique, cherchant ainsi de susciter certaines émotions. Pour ce
faire, il n'hésite pas à utiliser des figures littéraires telles que la
métaphore ou de similaires mises en valeur chargées de nombreux adjectifs. Il
réussit ainsi à dédramatiser le dures conséquences de ce qui est en réalité une
expédition militaire punitive, exaltant jusqu'au niveau "de film"
l'opération des agresseurs aériens.
2. LE LANGAGE DES IMAGES
En général, les photos d'un périodique accomplissent deux fonctions de base :
vérifier visuellement l'info reportée dans le texte, là rendant plus réaliste,
et éventuellement ajouter une nouvelle info qui complète le texte. Seulement,
en réalité, la photo remplit d'autres "fonctions cachées". On a déjà
vu par exemple dans le 3-A que grâce à leur visibilité, les photos pouvaient
être utilisées pour faire ressortir certaines nouvelles. Outre cet effet, elles
peuvent aussi servir à influer subtilement sur le contenu de l'information.
2.1 Images manipulées/manipulantes
Une autre fonction "occulte" de la photo consiste donc à changer le
sens d'un article (en l'allégeant, en la renforçant, en distrayant l'attention),
et peut même arriver à la contredire. Etant donné que l'on donne à la photo le
principe d'objectivité (reçue comme un "fragment de la réalité en tant que
telle"), elle obtient une crédibilité non remise en cause par le lecteur
et impose son "message" au contenu même du texte. Nous lecteurs, nous
ne sommes pas très conscients du fait qu'une photo se construit aussi, se
dessine comme une expression que l'on cherche, mais avec son propre langage
photographique, selon les plans, la lumière, l'usage de symboles et d'autres
traitements.
Un bon exemple d'allègement [de la dureté] d'une nouvelle par l'intermédiaire
de la photo se trouve dans l'article intitulé "Seule la moitié des détenus
toxico-dépendants reçoive le traitement à la méthadone", publié par El
Paìs le 18/03/99 (voir p. 58). Pour illustrer la nouvelle d'un communiqué (un
informe) de Izquierda Unida qui dénonce les terribles conditions de vie dont
souffrent les prisonniers en Espagne (isolement, torture, conditions sanitaires
insuffisantes...), le journal a le toupet de montrer en premier plan la piscine
olympique de la prison de Soto del Real (Madrid). Avec une telle photo, on
tente évidemment de contrecarrer et de démentir les dénonciations du
communiqué, en cherchant à faire comprendre que les conditions de vie en prison
sont "luxueuses" (quand en réalité, la piscine en question ne peut
être utilisée que par les gardiens et une minorité de détenus...) Dans d'autres
cas, la manipulation provient directement d'effets photographiques (le déjà
commenté "langage photographique") utilisés pour déformer ou ajuster
de façon expressive une image en fonction des intérêts du média.
Comme exemple de ce type de manipulation, on a la photo apparue dans La Razòn
du 20/5/99 (p. 59) intitulée "Militants du PSOE croient que les cartons
portent préjudice à leurs candidats", dans laquelle on utilise clairement
un objectif photographique spécial dit "grand angle" où le cadre de
la photo, pour déformer les images et exagérer ainsi l'effet visuel des cartons
du PSOE (Partito Socialista Spagnolo), appuyant ainsi l'hypothèse du journal
sur la campagne d'images de ce parti.
Le langage symbolique visuel est aussi souvent employé pour transmettre
certains messages et signifiants de manière "subliminale". La photo
qui accompagne l'article de El Mundo du 25/4/00 (p. 60) intitulé : "PP et
PSOE jugent racistes les paroles d'Arzallus" profite d'un plan photo pris
par hasard lors d'un discours d'Arzallus (Président du Parti Nationaliste
Basque ; PNV) pour lui attribuer une pose générant une certaine image qui se
rapproche de la symbolique fasciste. En fait, sur la photo, le leader basque
apparaît levant le bras à un moment de son discours, geste qui rappelle
immédiatement le salut fasciste, mais qu'Arzallus n'a évidemment pas
l'intention de faire. Pourtant, El Mundo décide de choisir, et pas par hasard
semble-t-il, cette photo lourde d'un symbolisme fortuit, parmi les nombreuses
photos à disposition du même discours.
Dans certains cas, aussi, quand le journal manque de photos, il publie en
substitution des dessins (habitude commune d'ABC et El Mundo), avec une totale
liberté "d'expression" permettant de recréer ou d'inventer la réalité
à loisir.
2.2 Campagnes photographiques
Un autre phénomène ayant comme principal élément le langage photographique est
celui que l'on a nommé "campagne photographique", qui consiste en un
traitement photo particulier donné par les médias à des nouvelles dont les
thématiques sont déterminées et spécialement sensibles.
On peut par exemple observer une grande uniformité dans l'illustration
photographique réalisée dans les articles sur les pays arabes (avec une
distance généralement marquée par rapport au sujet traité) ; il s'agit le plus
souvent d'images qui expriment violence et fanatisme à travers la
représentation de masses de personnes en colère ou de femmes voilées. Dans ce
cas, on met en relation par répétition (raison pour laquelle on parle de
"campagne", car elle est progressivement tissée jour après jour) la
culture arabe et la religion musulmane (qui tendent par conséquent à se
confondre et se mélanger, alors même que de nombreux Arabes ne sont pas
musulmans et que tous les musulmans ne sont pas Arabes) avec la violence et
l'irrationalité.
Quelque chose de similaire, même si plus complexe et plus subtil, fonctionne
avec les nombreuses images véhiculées à propos du conflit au Pays Basque
(combien de fois est montrée la police en train de charger les manifestants ?
En regard, combien de fois voit-on "les jeunes radicaux"
encapuchonnés en action ?). Si l'on s'en tient aux photos, on a l'impression
que, au Pays Basque, il n'y a jamais de charges de police, ni de répression.
Une campagne plus ponctuelle mais qui a quand même bénéficié d'une
impressionnante couverture photographique fut le traitement visuel accordé aux
diverses victimes du dernier conflit yougoslave, ainsi qu'aux armées impliquées
: les soldats de l'OTAN apparaissaient toujours entourés d'enfants kosovars ou
faisant d'émouvants adieux à leurs familles, les guerriglieros albanais de
l'UCK étaient le plus souvent blessés ou morts, tandis que les soldats serbes
étaient toujours traités avec un aspect particulièrement féroce et cruel.
3. LE LANGAGE DES NOMBRES
Nombreux sont les articles qui incluent des diagrammes ou des graphiques
statistiques auxquels on attribue l'objectivité théoriquement _constitutive de
la science de la statistique. Même si ces graphiques sont le plus souvent
confus et incompréhensibles, cela importe peu étant donné que l'effet de
sécurité et de crédibilité ne dépend pas tant de la compréhension du schéma
mais de l'essence même de la Statistique, en tant que _Science.
D'autres fois, la nouvelle elle-même est en dates, en chiffres, en données, qui
lui font acquérir un aspect incontestable, catégorique, occultant ou masquant
la rigueur de l'étude et sa crédibilité. La Statistique est une science dont
les résultats finaux dépendent du processus de recueil des données et du modèle
choisi pour les analyser. Dans toute analyse statistique, le fait de
sélectionner une population plutôt qu'une autre, un modèle, une norme, plutôt
qu'une autre, change de façon significative les résultats. En fait, il se
trouve que, habituellement, on inverse le processus d'étude, c'est-à-dire :
partir de conclusions ou de résultats finaux décidés a priori en fonction des
intérêts du journal ou d'autres institutions, et construire un modèle d'analyse
qui les justifie. Ce n'est pas un hasard, par exemple, si le Groupe Prisa,
propriétaire de El Paìs parmi d'autres moyens de communication (dont As, Cinco
Dìas, Cadena Ser, Antena 3 Radio, Canal +...), est également le propriétaire de
la fameuse agence de statistiques Demoscopia.
Un exemple qui met en doute la "crédibilité" de certaines études est
la disparité des résultats que montre l'Enquête sur la Population Active
(Inchiesta della Popolazione Attiva, EPA) d'une part et la Comptabilité
Nationale d'autre part quant au même objet d'étude : le travail. Derrière
chaque enquête se cachent des intérêts, par exemple la publication de données
sur les intentions de vote dans les processus pré-électoraux sur la mobilité
des votants de tel ou tel parti. Une autre forme de manipulation statistique
est de retarder la publication des indicateurs économiques (si on veut
approfondir les renseignements sur la manipulation des statistiques, voir El
Paìs du 9/4/2000 (p. 61), reportage qui fut publié dans la section spécialisée
Economie, ce n'est pas un hasard, puisque elle n'est lue que par peu de gens.
Cependant, outre l'occultation ou le traitement intéressé de données, la
manipulation peut être réalisée par le biais d'une interprétation de ces mêmes
données, rehaussant alors les aspects positifs de certains résultats sans
insister sur les effets négatifs. Par exemple, insister sur la diminution de
l'augmentation des morts consécutives aux accidents de travail est une
manoeuvre pour donner un aspect positif à une dramatique réalité, c'est-à-dire
que les accidents mortels du travail continuent d'augmenter, même si à un
rythme moindre. Ou les triomphalistes campagnes du gouvernement sur la
réduction du chômage qui cachent que cette baisse s'obtient grâce à
l'augmentation de la précarité du travail pour la majorité, à la dégradation
des conditions de travail, au retrait progressif des droits des travailleurs.
Un bon exemple concret d'usage désinformant et manipulant des statistiques se
trouve dans El Paìs du 26/5/00 (p. 62). En pleine campagne alarmiste lancée à
l'occasion de l'approbation de la loi sur l'immigration pour justifier une
politique restrictive et répressive vis-à-vis des immigrés, El Paìs présente
sous le titre "Le nombre des immigrés inclus dans la loi sur l'immigration
dépasse toutes les prévisions" certaines données statistiques de trois
types : nombre de personnes prises en considération (qui ont simplement demandé
des informations), nombre de ceux qui ont sollicité la régularisation et nombre
de cas résolus (il n'indique pas de résultats positifs ou négatifs,
c'est-à-dire ceux qui ont été régularisés et les autres).
Une analyse non tendancieuse de ces chiffres n'affirme en aucun cas qu'ils sont
supérieurs aux attentes mais l'exact contraire : les prévisions de 80 000 ou
100 000 se réfèrent au nombre d'étrangers régularisés ; or, à la moitié de la
période étudiée, le nombre de cas résolus n'arrive pas à 43 000 et, comme dit
le texte de l'article, la majeure partie positivement mais pas la totalité,
c'est-à-dire qu'au moment en question, le nombre d'étrangers régularisés
n'arrive pas à 40 000 personnes, donc moins de la moitié des prévisions les
plus pessimistes.
En fait, au lieu de comparer les chiffres adéquats (prévisions de
régularisations par le nombre de ceux qui l'ont réellement obtenue), il recourt
à des données volontairement bien plus larges : nombre de ceux qui ont
sollicité la régularisation, en incluant qui a simplement demandé des
informations. Cette erreur est trop élémentaire pour être involontaire, raison
pour laquelle il semble qu'il y ait volonté de créer l'alarme sociale en
insinuant l'idée que par la faute de la loi, les immigrés sont en train de nous
envahir, justifiant ainsi la réforme de la loi, réforme finalement prévue avant
même l'entrée en vigueur de cette loi.
C) CONTENU DE L'INFORMATION
1. SELECTION ET USAGE DES SOURCES
D'INFORMATION
Dans le langage journalistique, on entend par sources d'information les
éléments qui fournissent au journaliste les infos avec lesquelles construire un
article. Ces sources peuvent être :
-personnes (impliquées, témoins, experts)
-institutions (politiques, juridiques, police, entreprises, agences de
presse...)
-documents (enquêtes, communiqués, études, autres moyens de communication...)
Parfois, une nouvelle s'écarte du circuit
des sources d'informations. Elle est alors, dans sa totalité, le produit de
l'observation directe des faits par le journaliste. Ce cas étant très peu
commun, le rôle des sources d'information reste primordial.
En théorie, on suppose que le journaliste
doit chercher les sources susceptibles de lui fournir l'information la plus
abondante, désintéressée, diversifiée, raison pour laquelle il devrait recourir
à la plus grande variété de sources. Pourtant, la réalité est que le choix de
ces sources répond le plus souvent à une stratégie de manipulation informative
dans le sens où, en faisant écho à certaines sources et en en ignorant d'autres,
le média favorise la diffusion de son point de vue à l'opinion sans pour autant
perdre l'apparence d'objectivité. Ainsi, le moyen de communication se présente
comme un simple transmetteur d'infos, neutre et impartial, alors qu'en réalité
il tend à choisir des sources, personnes, institutions, documents, qui peuvent
favoriser ses intérêts ou favoriser ses bonnes relations.
D'où l'importance des Départements de Relations Publiques et autres Cabinets de
Presse, pas seulement des institutions et organismes officiels, mais aussi de
grandes entreprises ou de "personnages publics". L'objectif principal
est alors de se convertir en sources d'information assidues des médias. Dans
d'autres situations, on contracte des Agences de Relations Publiques afin
qu'elle gère l'information [sous forme de campagnes de presse agressives le
plus souvent] sur un sujet particulier.
Par exemple, en 1991, le gouvernement du Koweït a contracté une des agences de
relations publiques les plus prestigieuses du monde, la nord-américaine Hill
& Knowlton, à hauteur de 10,8 millions de dollars avec pour objectif de
convaincre l'opinion publique occidentale, et américaine en particulier, de la
nécessité d'une intervention dans le Golfe Persique. [Sur l'usage des agences
de relations publiques (souvent méconnues et peu traitées) ces dernières
années, en particulier à l'occasion de la très récente "libération"
de l'Irak, voir la deuxième partie du reportage 90 minutes : "la sombre
histoire des relations publiques"] Ces départements et cabinets sont
composés d'experts en communication (journalistes, publicitaires, psychologues,
sociologues...) qui ont la charge d'élaborer des stratégies et des produits
informatifs très complets et de haute qualité (articles déjà rédigés,
reportages, photos, dossiers de presse, déclarations, documents
"inédits"...) destinés à favoriser les intérêts de l'institution, de
l'entreprise, du gouvernement, de la personne concerné/es par un fait
déterminé. Offrant ces "produits" aux journalistes des différents
moyens de communication, ils deviennent ainsi des sources d'information
"privilégiées" auprès de ceux qui sont censés la rendre.
Ce fut par exemple le travail du cabinet de presse de l'OTAN pendant la
dernière guerre en Yougoslavie étant donné qu'il monopolisait l'essentiel de
l'information sur la guerre [Voir aussi le reportage de la BBC sur le contrôle
de l'information par l'OTAN pendant la guerre, cad "the daily Jamie Shee
show"…]. C'est ainsi que la plupart des images des bombardements diffusées
par les médias fut filtrée au préalable par l'OTAN. Les autres sources
d'informations durant ce conflit furent principalement pour ne pas dire
uniquement : les gouvernements alliés [au sein de l'OTAN] et les partis
politiques gouvernementaux, donc ceux qui ont engagé leur pays dans l'attaque.
Les opposants à la guerre [en Occident] et les habitants de la région [Serbes
surtout en tant que victimes des bombardements mais également Bosniaques,
Croates ou Kosovars, voire Albanais] n'ont été que rarement entendus.
Il existe de multiples autres exemples de ce genre d'usage manipulant des
sources d'information : l'info qui concerne l'ETA est toujours fournie par le
ministère de l'Intérieur, celle sur les prisons par l'administration carcérale,
très rarement par les prisonniers ou leurs proches (sauf s'il s'agit d'un
personnage célèbre), les articles sur les occupations (en particulier lorsqu'il
y a évacuation) sont réalisés grâce aux infos de la police et des représentants
municipaux, laissant donc toujours aux principaux intéressés un espace
anecdotique (un espace d'ailleurs toujours "concédé").
D'autres fois, les informations procèdent de "sources d'information
privilégiées" (c'est-à-dire, en pratique, celles qui conviennent le mieux
aux médias) : elles rapportent des citations directes présentant entre
guillemets des déclarations publiques ou des documents auxquels on veut donner
une diffusion massive propageant à la lettre leurs projets, mais aussi leur
langage et leur vocabulaire.
Un bon exemple de l'usage intéressé des sources d'information comme de l'abus
d'usage des guillemets se trouve dans l'article "Almunia félicite Aznar
pour l'issue des négociations du gouvernement avec l'Otan" de El Paìs du
23/12/1997 (p. 63). Les deux principales sources d'information choisies pour
rédiger l'article sont les deux leaders politiques espagnols les plus
favorables à l'OTAN. De fait, tout le texte est une continue et complaisante
transmission de leurs discours, retracés presque littéralement du fait de
l'abondance de phrases entre guillemets. Malgré la protestation croissante à la
pleine intégration [de l'Espagne] à l'Alliance Atlantique organisée par
l'opposition, ceux-ci sont à peine pris en considération en tant que source
d'information. De cette façon, diffusant largement les déclarations, projets,
discours de ceux qui sont en faveur de la pleine intégration et en émargeant
ceux qui y sont opposés, le journal se range nettement dans un camp sans pour
autant perdre l'illusion d'objectivité.
Un autre bon exemple de sélection partiale et manipulée des sources est
l'article intitulé : "Les grands magasins ont vendu 9% de plus qu'en 1998
et ont créé 15 000 postes de travail" publié par El Paìs du 10/06/99 (p.
64). L'article est une séquence exhaustive et exagérée de données économiques
d'entreprise procédant dans leur totalité de l'ANGED (Association Nationale des
Grandes Entreprises de Distribution), sûrement confectionnée et distribuée par
son agence de Relations Publiques. Il présente la croissance des entreprises
sur un ton absolument triomphaliste recourrant, et pourquoi pas, à
"l'argument magique" de la création de nouveaux emplois. A ne
recourir à aucune autre source d'information (petits commerces, travailleurs
manutentionnaires, syndicats, associations de consommateurs...), le journal
réalise de la publicité gratuite aux multinationales de la distribution. On ne
dit rien, par exemple, des innombrables postes de travail que détruisent dans
le même temps les grands magasins (fermeture de petits et moyens commerces
alors qu'ils sont le secteur de plus grande création d'emploi), un chiffre bien
supérieur à celui des créations de postes par les grands magasins (qui facilitent
la confusion des genres entre création d'emplois et multiplication de postes à
durée partielle, ces derniers étant le plus souvent des "emplois
temporaires de précarité permanente"), de la nature des contrats proposés
par l'employeur, des conditions de travail des employés, de l'impact sur le
paysage urbain, des conditions d'acquisition de marchandises imposées aux
fournisseurs...
Même si le journal ne ment pas de façon effective (il n'y a aucun doute que
toutes ces données aient été récoltées auprès des sources de l'ANGED), se
limitant à une seule source d'information et lui donnant une diffusion massive
de façon acritique et complaisante, il est en train de manipuler et de
distordre la réalité des grands magasins et leur impact réel socio-économique.
2. INFORMATION FAUSSE
Par "fausse information", on entend celle qui a été délibérément
inventée pour construire et transmettre une réalité différente de celle connue
des journalistes et de leurs sources d'information. Fausser ou inventer l'info
est une technique de manipulation moins habituelle que les autres pour une
raison très simple : c'est très risqué puisque dans le cas où on découvre la
supercherie, le prestige et la crédibilité du moyen de communication et/ou du
commanditaire en sortiraient très compromis. Inventer une info et la diffuser
massivement est trop repérable et risqué alors qu'il existe, on le voit, de
nombreux moyens de manipuler l'information sans pour autant mentir
explicitement.
Cependant, çà ne signifie pas que cela ne
se fasse pas, surtout lorsque l'on veut influer de façon immédiate et
irréversible sur l'opinion publique (pour que, par exemple, on appuie avec
urgence l'entrée ou le maintien d'un pays en guerre, ou à l'approche
d'élections). Les démentis, faits a posteriori, ont beau arriver, mais il est
en général trop tard. Outre leur effet immédiat, les mensonges médiatiques ont
un autre avantage : ils sont très difficiles à vérifier pour les lecteurs, car
la plupart du temps nous n'avons pas les moyens de le faire. C'est aussi pour
cette raison qu'il est difficile de donner des exemples concrets et détaillés
d'information falsifié. Seule une infime partie des cas est finalement rendue
publique (on a récolté pour ce dossier quelques uns des exemples éparts qui ont
été diffusé ces dernières années).
Un autre caractéristique de l'information
fausse est qu'il résulte difficile d'en savoir l'exacte provenance, qui peut
être une source d'information (gouvernement, armée, entreprises, agences de presse,
police...) ou le moyen de communication en tant que tel.
Quoi qu'il arrive, même dans le cas d'une information inventée par la source,
le média peut être considéré comme complice, passivement ou activement, ne
serait-ce que dans la mesure où son travail était de vérifier l'information
fournie par la source avant de la diffuser.
2.1 Information fausse écrite
C'est la plus facile à réaliser dans la mesure où il suffit de quelques minutes
pour la monter. Seulement, l'information écrite faussée demeure sans doute
celle qui a le moins d'impact que d'autres types d'info.
L'information fausse peut consister dans l'invention complète d'une nouvelle.
Par exemple, lors du dernier conflit yougoslave, l'agence de presse de l'OTAN
diffuse vers la fin mars 1999 la fausse nouvelle de la disparition
d'intellectuels albano-kosovars, faisant croire à leur exécution par les forces
serbes. Des mois plus tard, une fois le conflit terminé, comme d'habitude, on
apprit que ces intellectuels n'avaient en fait jamais disparus (voir El Mundo
19/6/99, p. 65).
Un autre exemple, plus proche, dans lequel la fausse nouvelle procède également
de la source d'information (dans ce cas, la police de Barcelone) et de
l'absence de vérification des médias, fut l'article intitulé : "un jeune
reste paralysé après avoir été frappé par des crânes rasés" (voir El Paìs
du 29/3/00, p. 66). Peu après on apprit qu'il s'agissait d'une invention de la
police destinée à alimenter le climat d'alarme sociale et d'insécurité urbaine
et justifier ainsi son activité.
Une autre façon de fausser l'information consiste dans l'invention de données
et de faits à l'intérieur même d'une nouvelle pour l'orienter selon des
intérêts définis. Cette falsification est bien plus commune car elle moins
risquée et moins scandaleuse que l'invention d'une entière nouvelle. Si c'est
leur intérêt, les médias adoptent ainsi le dicton : "diffame, quelque
chose restera". Pour cela, ils recourent à certaines techniques comme
s'inventer des sources d'information inexistantes (selon la formule consacrée :
"source bien informée") pour mettre dans des bouches anonymes de
fausses accusations ou des rumeurs tendancieuses.
Un bon exemple de ceci est la campagne de diffamation que lança en 1991 le
journal ABC contre l'Ecole Populaire de Prosperidad (Madrid) qui présente ce
travail. Les activités de l'école se déroulaient dans un local propriété de
l'Archevêché de Madrid, qui en 1943 le loua à la commune de Madrid, qui à son
tour, le céda à l'Ecole pour qu'elle y tienne ses activités éducatives.
Pourtant, en 1990, la commune rompt unilatéralement le contrat de loyer avec
l'Archevêché, donnant libre voie à celui-ci de récupérer le local en expulsant
l'Ecole. L'affaire fut soumise à procès en 1991 et l'Archevêché reçut tout
l'appui du journal ABC qui se lança alors dans une violente campagne de
diffamation contre l'Ecole. Un article de l'époque peut nous servir comme
exemple de fausse information car il est plein d'inventions, d'exagérations,
d'inexactitudes.
Le titre est : "Manifestations organisées par les communistes pour éviter
l'expulsion de La Prospe", daté du 28/6/91 (p. 68). D'abord, ils attribuent
l'organisation de manifestations aux "communistes", et plus
concrètement à la présidente de l'Association Populaire Gisela Meyer, membre d'Izquierda
Unida. En réalité, la manifestation a été organisée par l'Ecole "La
Prospe" elle-même, sans que Gisela Meyer ou IU aient quoi que ce soit à
faire avec l'Ecole. Dans l'Ecole ont toujours cohabité un grand nombre de
courants idéologiques, des marxistes aux anarchistes en passant par
l'écologisme, le féminisme, mais surtout nombre de personnes qui préfèrent ne
pas être étiquetées. La Prospe est indépendante de tout parti ou syndicat,
raison pour laquelle le simpliste et conspirateur titre de l'ABC est faux.
Par les nombreuses insinuations que
contient l'article (usage des guillemets, vocabulaire péjoratif et
criminalisant...), il ressort plusieurs autres contrevérités. Comme le mensonge
comme quoi "les participants de La Prospe aient lancé des menaces"
(§3) ; il est fait référence à ceux-ci comme "personnes qui se définissent
éducateurs, maîtres, assistants sociaux", mettant ainsi ces qualifications
en doute alors qu'ils le sont effectivement dans la grande majorité et que
l'Ecole Populaire est reconnue par le Ministère de l'éducation. L'affirmation
(toujours au §3) que "la majorité des voisins applaudit à la décision
municipale (de l'expulsion) et doute de la qualité des activités de La
Prospe" est également fausse puisque le sentiment commun du quartier de
Prosperidad est l'appui du voisinage (dans les manifestations et dans les
activités) et l'indifférence de nombreux autres. L'affirmation que la majorité
du voisinage applaudit à la fermeture est donc fausse, comme le témoignage qui
suit du supposé voisin. Celui-ci est en effet mensonger : il met en doute que
l'on puisse faire l'éducation des adultes, qualifie la participation de
"médiocre" (à l'époque, le local était fréquenté par près de 250
personnes), affirme les participants aux protestations ne sont pas du quartier
mais des gens "recrutés" par les "petits chefs" de l'Ecole
(un collectif comme La Prospe n'a pas de chef et n'a besoin de recruter
personne : ce n'est ni une organisation paramilitaire, ni un parti). Même en
supposant que ce témoin anonyme soit réel et non inventé comme cela semble
(car, en fait il énonce toutes les critiques typiques de l'ABC dans sa campagne
ponctuelle), le simple fait de les diffuser littéralement sans les vérifier
contribue à falsifier l'information.
Dans le dernier paragraphe, sous le sous-titre "Replique", ABC répond
à une lettre de protestation justement envoyée par des membres de La Prospe
pour critiquer les fausses accusations et contrevérités de l'article précédent.
Pour sa défense, il affirme posséder la preuve de tout ce qu'il a publié,
nouveau mensonge vérifié. Ceci n'est qu'une petite partie de la "campagne
d'informations" de mensonges et de fausses données, inventées et
manipulées, que le quotidien ABC lança pour porter préjudice à l'Ecole La Prospe
et défendre les intérêts de l'Archevêché de Madrid.
En général, les nouvelles écrites qui sont totalement inventées procèdent de la
même source d'information. Et le média se transforme alors en complice (par
intérêt, par clientélisme, par sensationnalisme...) en les publiant sans
vérification. Dans le cas où l'on découvre la supercherie, la responsabilité
devrait être partagée entre qui a créé la nouvelle et qui l'a publié.
La déformation partielle de l'information, bien plus commune et difficile à
vérifier, est souvent produite par le journal lui-même qui, partant d'un fait
réel, le déforme et le falsifie. 2.2 Information fausse visuelle Dessiner une
information visuelle est techniquement plus compliqué et suppose un risque plus
grand que la réalisation d'une information fausse écrite. Cependant, elle
ressort plus crédible, plus visible, car l'info visuelle est alors prise comme
fragment de la réalité elle-même.
On peut générer des fausses informations visuelles de plusieurs façons
différentes :
A) Images inventées. Photos qui ont été
directement mises en scène.
Par exemple, vers la moitié de 1999, la presse espagnole s'est mise à diffuser
une photo d'un groupe zapatiste qui remettaient leurs armes au représentants du
gouvernement mexicain affirmant que : "14 rebelles zapatistes désertent
l'EZLN" (El Paìs 31/3/99, p. 69). On apprit plus tard que c'était une mise
en scène, que les hommes masqués qui apparaissaient sur la photo n'étaient pas
zapatistes mais jouaient une fausse remise d'armes, comme reporté par El Paìs
le 2/4/99 (p.70) (dans un article bien plus court et non agrémenté de photo).
On peut dire que la manipulation provient du gouvernement mexicain (la source)
et non de la presse. Cependant, il apparaît également très difficile de croire
que sa diffusion ait été réalisée sans la connivence de cette dernière. Quand
bien même, il est surprenant qu'on ait pas pris la peine de vérifier cette info
auprès de l'EZLN.
B) Images manipulées. Photos qui, même si
elles ont quelque chose à voir avec le fait relaté, ont été manipulées de façon
à changer leur sens et implication.
C'est parfois réalisé très simplement en découpant la photo de façon à changer
sa signification, c'est-à-dire en manipulant le cadrage de la photo. Ainsi de
nombreuses photos apparues pendant la guerre des Balkans, dont le cadrage était
manipulé à répétition pour associer les gestes de Milosevic aux saluts
fascistes. Par exemple, sur la photo apparue dans El Paìs du 28/5/99 (p. 71) on
voit Milosevic avec le bras levé et la main tendue, mais l'autre bas est
invisible (coupé du cadre) Il s'agit d'une photo d'archives (et donc choisie
arbitrairement par la rédaction) qui apparaît en couverture du journal. _ Plus
tard, après les critiques de divers lecteurs, le même quotidien admit que la
photo avait été coupée et que, sur l'original, Milosevic avait les deux bras
tendus, saluant l'atterrissage d'un avion, acte qui donne bien sûr un sens
totalement différent au geste.
La manipulation reste toujours plus fréquente car désormais réalisée grâce aux
nouvelles techniques numériques.
Ainsi la couverture de l'ABC du 7/7/88 (p. 72) où l'on voit une photo des fêtes
de San Fermìn où de nombreuses bannières du Pays Basque portées par le public
sont manipulées par ordinateur pour les convertir en bannières identifiables et
appuyer ainsi le sens du titre.
C) Images hors contexte. Dans certaines
occasions, on trouve des photos ni manipulées, ni inventées, mais qui sont
cependant totalement hors contexte.
Un exemple célèbre qui apparut dans toute la presse mondiale pendant la Guerre
du Golfe est la photo du cormoran moribond maculé de pétrole présentée par la
presse comme preuve des supposés versements de brut qu'accomplissait Saddam
Hussein, devenu "éco-terroriste" pour l'occasion, pour ralentir
l'invasion "alliée". On apprit par la suite non seulement que la
quasi totalité de ces versements furent la conséquence des bombardements
américains de zones pétrolifères irakiennes, mais en plus que la fameuse photo
avait été faite des années auparavant lors d'un désastre écologique après
l'effondrement d'un puit de pétrole en mer du Nord. Dans ce cas précis, l'image
est tellement délibérément hors contexte qu'on peut presque considérer
l'exemple comme une image inventée pour l'occasion.
3 SELECTION DES ARGUMENTS D'INFORMATION
3.1 La non-information
a) Non-information absolue
Dans tous les pays, il existe une liste "d'arguments réservés", et en
tant que tels censurés et fermés à une information libre en général. En Espagne,
jusqu'à il y a peu, la Guinée Equatoriale était incluse dans cette liste. Sur
l'utilisation de sources réservées, non seulement on ne peut informer, mais en
plus elles ne peuvent même pas être contrôlées par le Parlement. Questions
classées "Défense Nationale", activité et documents des services secrets...
Logiquement, la série d'arguments sujets à une censure quasi totale ne sont pas
nombreux, l'Etat pouvant alors être facilement accusé de manque de transparence
et de démocratie. Comme on le commentait dans le cas de la fausse information,
il y a des manières plus subtiles pour désinformer. Cependant, le peu de sujets
interdits à l'info générale sont totalement hors de tout contrôle public raison
pour laquelle on n'admet pas l'existence d'une censure, et il est difficile de
se rendre compte quels sont les thèmes dont la connaissance est interdite par
décision politique.
b) Non-information relative
Outre ces sujets réservés, il en est beaucoup d'autres qui, bien que non sujets
à censure, peuvent être aussi inclus dans ce chapitre sur la non-information.
On se réfère alors à des faits ou des réalités qui, malgré quelques
publications (car, comme déjà dit, la censure totale serait grossière et
facilement critiquée), restent des nouvelles qui nous arrivent de façon si
médiocre et si incomplète (le minimum, de façon à ce qu'on ne puisse dire
qu'elles sont complètement occultées) que d'aucune manière on ne peut parler
d'information à leur propos.
Le phénomène de la non-information relative a de nombreux points communs avec
la surinformation, qu'on analysera plus avant. Sous la même forme que l'offre
d'un quelconque produit commercial, inutile et pourtant produit et diffusé, on
finit par générer une demande, une volonté de consommation, tout en supprimant
la demande quant à d'autres produits autrement plus nécessaires ; l'offre
informative que nous ingurgitons finit également par modeler notre demande du
"produit informatif" en lui-même, générant un intérêt pour des
questions qui sont en général bien secondaires et superflues et, en échange,
insensibilise et annule nos préoccupations pour d'autres qui ont bien plus
d'incidences sur notre vie quotidienne. Par exemple, il est fort probable que
l'opinion admette que les problèmes en relation avec l'alimentation et la santé
(qualité des aliments, manipulation génétique, prix des produits alimentaires,
organisation du travail agricole, création/suppression et coût du travail...)
sont bien plus importants et vitaux que ce qui regarde l'industrie
cinématographique et sa propagande. Pourtant l'attention que génère dans les
médias une remise d'Oscars est autrement plus importante que celle d'une
réunion au sommet où se décident et se profilent les critères et les contrôles
pour la manipulation génétique des aliments, leur production et leur
distribution... [En l'occurrence l'OMC (WTO), dont les débats ont été
consécutivement passés sous silence, puis mis de côté au profit des violences
(surinformation sur "les à côté" des sommets à Seattle, Prague, New
York, non-information sur les décisions prises) qui ont permis de souligner les
enjeux des décisions d'une telle organisation, et donc enfin diffusés, comme
plus récemment, sans jamais être trop approfondis.]
Dans ce déséquilibre d'intérêts, il y a
toujours une raison à l'ample attention des médias à la remise des Oscars, dont
la "publicité informative" de tous les moyens de communication
commence parfois des mois auparavant et, au contraire, le désintérêt de ces
mêmes médias pour les sommets essentiels d'organisations comme l'OMC qui sont
présentées comme des réunions "techniques" et donc de peu d'intérêt
pour les citoyens "normaux". De la même façon, l'attention portée
(par les médias et donc par le public) à un quelconque détail, aussi ridicule
soit-il, de la vie des personnalités est bien supérieure à celle concernant les
inhumaines conditions de vie que doivent supporter chaque jour les détenus des
prisons espagnoles.
Etant donné qu'on finit par assumer que
"ce qui ne se voit ni à la télé, ni dans les journaux n'existe pas",
l'absence systématique d'information sur certains thèmes fait que non seulement
on ne revendique pas le droit de connaissance sur le sujet, mais en plus qu'on
ne sent même pas la nécessité de le faire car on ne se sent même pas conscients
de son existence. Suit une liste (non exhaustive) d'arguments propres à la
non-information, c'est-à-dire traditionnellement mis de coté ou oubliés malgré
leur évidente importance : A échelle nationale :
Parmi les sujets importants, pour la communauté d'intérêts qui existe
entre nos quotidiens et la façon de les améliorer, les défendre... tout ce qui
est relatif aux mouvements sociaux : associations, collectifs, qui naissent
précisément pour défendre et revendiquer les intérêts de tous sur les questions
les plus vitales, sensibles et voisines (associations de voisins, mouvement des
centres sociaux, mouvement féministe, collectifs pour la défense des droits des
détenus, contre les tortures et abus de pouvoir, etc.) trouvent difficilement
un espace d'information alors que nous bénéficions d'un traitement toujours
plus ample et répété des querelles internes des partis politiques (qui,
d'ailleurs, devraient eux aussi s'occuper de ces questions, et non les laisser
aux "organes" de la société civile, puisque élus en tant que
représentants du peuple), de leurs stratégies...
Situation dans les prisons :
caractéristiques de la population enfermée, type de mesures disciplinaires,
conditions de détention... En Espagne, pour qu'il soit fait référence un bref
instant à ces questions, il fallut en février 2000 une grève de la faim de
nombreux détenus en cellule d'isolement ainsi que l'appui d'une Coordination de
Soutien. L'essentiel des problèmes relatifs à l'univers carcéral est de toute
façon occulté - Scandales économiques : sur les questions économiques d'Etat ou
des municipalités, on n'informe pas sur les modes d'adjuger travaux et
services, ni sur la distribution des subventions/aides publiques (qui en
bénéficie ?), ni sur les entités bénéficiaires des marchés dépendant de fonds
publics. Quand, par intérêt politique, quelque "imbroglio"
politico-économique apparaît dans tel ou tel quotidien (le plus souvent en exclusivité,
ce qui conforte l'idée de fuite organisée pour l'occasion), les nouvelles et
critiques se centrent en général sur la politique mise en cause, ne prêtant
quasiment pas attention à l'autre "accusé" : le plus souvent une
entreprise ou une banque. Ne sont pas plus diffusées certaines illégalités
concédées par le gouvernement (généralement pour délits appelés "délits de
cols blancs", c'est-à-dire : évasions massives de contributions et
subventions, fraudes d'ampleur...).
Commerce d'armes,
exportations d'armes (destinataires, bénéfices...), suivi des activités des
entreprises vendant armes et matériel de guerre.
Destin final des aides pour
le développement, entreprises qui interviennent, formes d'allocation...
Et de nombreux autres
arguments que nous ne soupçonnons même pas.
A échelle internationale :
Situation du monde indigène
en Amérique Latine (Guatemala, Chiapas, Brésil, Bolivie...)
L'Afrique est un continent
totalement oublié de l'information, sauf quand il s'y passe des catastrophes
naturelles ou des guerres fratricides (incompréhensibles pour les grand public
puisque manquant de la contextualisation adéquate).
Situation des droits de
l'homme et de la femme dans les "pays alliés" aux grandes puissances
occidentales (Turquie et la question kurde, condition de la femme et des
immigrés au Koweït ou en Arabie Saoudite, complicité du gouvernement et de
l'armée du Brésil dans la répression de populations civiles, Colombie,
Guatemala, Mexique, Algérie, Thaïlande, et un long etcetera.)
Les implications des
gouvernements, multinationales, banques dans les commerces internationaux les
plus illégaux et les plus "rentables" : drogue, armes…
Politiques économiques imposées par divers organisations
internationales (FMI, BM, OMC, G8, etc.), surtout en ce qui concerne les conséquences
humaines et sociales des décisions prises. Qui contrôle ces organisations ? Qui
et en fonction de quels critères sont décidées les politiques à appliquer à la
population du globe ?
3.2 "Information-éclair".
Nouvelles qui apparaissent et disparaissent :
C'est un phénomène commun dans le panorama
informatif global, la soudaine apparition de nombreuses nouvelles en relation
avec tel sujet ou certains événements (même si ceux-ci existaient bien avant et
n'avaient pourtant jamais été reportés). Durant une certaine période de temps
le public est bombardé par tous les médias de nouvelles, de reportages,
d'interviews... sur cet événement précis, qui passe alors au premier plan de
l'actualité. Quand, à l'improviste, commence à diminuer le flux de nouvelles,
arrivant bien vite à disparaître complètement, la situation en cause n'est
jamais terminée et encore moins résolue.
On comprend que dans de nombreux cas ce phénomène ne doit rien au hasard, mais
répond aux intérêts du média ou des sources d'information non rendues
publiques, souvent difficiles à vérifier.
a) Apparition
Comme dans le cas de la fausse information, il est souvent difficile de
distinguer dans l'information-éclair si la cause de l'apparition est directement
attribuable au média ou procède de la source qui utilise alors le média comme
diffuseur. On le sait, les principales sources d'information des médias sont
les agences de presse internationales [AFP (France), AP (USA) et Reuters (GB)
en sont les trois principales ; leur fonctionnement (vente planétaire
d'informations) est similaire à celui de multinationales présentes sur tous les
continents] et les départements de presse ou de relations publiques des
institutions étatiques et des grands groupes. Quand une institution ou une
entreprise est très intéressée à rendre public certains faits selon son point
de vue, il lui suffit de nourrir les médias avec des informations de qualité et
d'intérêt afin de générer un écho et une diffusion massive.
b) Propagation
La propagation de "nouvelles éclair" de la part de tous les médias ne
veut pas toujours dire que tous aient des intérêts identiques. Souvent
intervient un phénomène que l'on peut nommer "contagion de
l'actualité", c'est-à-dire : si un ou plusieurs médias portent leur
attention sur un fait, les autres devront également offrir des infos sur le
sujet pour ne pas rester en retrait de l'actualité (cercle vicieux qui
uniformise et nivelle les productions médiatiques). Pour autant la propagation
de cette "actu" est d'abord due à des raisons commerciales, puis de
compétitivité.
c) Disparition
Une fois que la diffusion massive d'un événement a satisfait les intérêts
politiques/commerciaux/idéologiques (salir, voire faire tomber un gouvernement,
faire peur à l'opinion à l'approche d'élections, convaincre de la nécessité
d'une guerre...)auxquels on devait son apparition, la nouvelle disparaît avec
la même rapidité avec laquelle elle était apparue, même si la situation n'est
pas résolue ou l'événement terminé. Dans d'autres cas la disparition est aussi
due à la saturation du public, las de lire toujours les mêmes informations sur
les mêmes sujets. Ainsi, même des réalités dramatiques (comme les violences
contre les femmes, les massacres en Algérie, les incidents de travail...)
finissent par se banaliser et se convertissent en "un passage de plus dans
le paysage médiatique quotidien", et arrêtent d'avoir de l'intérêt pour le
public. Dans un tel cas, le média tend à les faire disparaître (même si la
réalité, elle, n'a pas disparu), au moins pour un certain temps.
Il existe des exemples très clairs
d'information-éclair :
Celle du terrorisme d'Etat des GAL, amplement diffusé en principe par le
périodique El Mundo, puis par les autres médias par "contagion d'actualité"
des années après le déroulement des faits. L'origine de ces bombardements
improvisés répond à des intérêts politiques et éditoriaux, plus ou moins clair
mais jamais manifestes (les médias feignent toujours la neutralité). El Mundo
commença une féroce campagne d'accusations contre le gouvernement
"socialiste" déclenchant et faisant écho à la majeure partie des cas de
corruption. Curieusement, depuis la chute du gouvernement PSOE, ce quotidien a
notoirement oublié le cas GAL, qui a du mal à retourner à l'actualité
médiatique alors même que de nombreux procès sont encore en cours.
Un autre exemple est la dictature de Suharto en Indonésie ; appuyée par les
Etats-Unis et violemment sanguinaire qui continuait depuis des années à
assassiner des milliers d'opposants politiques (communistes,
indépendantistes...) devant le silence unanime et complice des médias
occidentaux. A l'improviste, il y a environ deux ans, commencèrent à apparaître
dans la presse des articles et reportages dénonçant le caractère tyrannique et
mafieux du régime indonésien.
Quelques mois plus tard éclatèrent des
révoltes estudiantines, amplement couvertes par les médias, et suivies des
"démissions" de Suharto. Subitement après avoir été remplacé par
Habibi, un de ses hommes de confiance, l'Indonésie disparut de l'actualité. Qui
était Suharto ? Et les motifs des émeutes ? Quelle est la politique du nouveau
gouvernement ? Ce changement est-il réellement démocratique ? Dans ce cas, on
peut sans doute chercher l'origine de "l'information-éclair" au sein
des gouvernements occidentaux qui contrôlent la situation politique indonésienne
(Etats-Unis et Australie) ; ou peut-être dans les compagnies de pétrole qui
contrôlent l'importante production de brut. Les uns ou les autres sont sans
aucun doute les responsables de la rapide diffusion et de la brusque
disparition de l'information sur l'Indonésie.
Comme exemple significatif de soudaine
disparition intéressée d'une information, il y a l'ensemble des nouvelles sur
le soulèvement zapatiste au Mexique. Le spectaculaire et la nouveauté de la
protestation assurent sa diffusion massive au début de 1994 ; cependant l'attention
des médias se réduit spontanément de manière drastique en coïncidence avec la
visite du président mexicain en Espagne. Désormais, alors que la répression de
l'armée mexicaine est bien supérieure, on parle à peine des zapatistes.
3.3 La surinformation
A l'autre extrême de la non-information ou carence informative de thèmes
déterminés, on trouve le procédé de "surinformation" sur des thèmes
déterminés. Les deux, comme les faces d'une même pièce, constituent en fait une
même forme de désinformation. De nombreux experts de communication, comme
Ignacio Ramonet, centrent aujourd'hui une grande partie de leurs critiques sur
les médias sur ce phénomène de la surinformation.
La surinformation se manifeste de deux
façons différentes :
a) Surinformation de quelques aspects d'un
sujet
Informer de façon plus abondante sur certains aspects d'un sujet plutôt que
d'autres est un moyen d'émarger d'autres aspects, souvent plus importants, plus
polémiques ou clarificateurs. Ce n'est pas que l'on n'informe pas sur ces
derniers aspects, mais l'espace qui leur est dédié est si petit comparé à celui
concernant les autres qu'ils passent pratiquement inaperçus aux yeux du grand
public.
Dans le même temps on diffuse la sensation d'être complètement, et exagérément,
informés sur un fait, grâce auquel les médias donnent l'illusion d'accomplir
leur fonction, quand en réalité ils nous fournissent des anecdotes et écartent
les clefs permettant de comprendre. Ceci est le type de surinformation la plus
commune. D'habitude, elle se matérialise par une avalanche répétitive de
certaines informations, données et images (souvent en suivant une ligne
sensationnaliste, "d'info-spectacle") sans entrer réellement dans le
fond du problème.
Comme on l'a déjà commenté, l'excès d'information sur un thème produit
paradoxalement un effet similaire à celui de la non-information. Pour
commencer, un grand volume d'informations constant oblige à lire
superficiellement, c'est-à-dire en général, les titres et sous-titres. Et comme
on l'a noté dans la précédente section, ce sont souvent les éléments plus
manipulés dans une nouvelle. Le lecteur, n'étant capable d'assimiler tant
d'informations, d'ailleurs en grande partie inutile et superflue, finit par
saturer du sujet traité. Ceci peut conduire à ce qu'il l'ignore (si on
outrepasse un certain seuil de surinformation) ou, plus communément, qu'il
accepte sans esprit critique la version des faits qui lui est proposée.
Ainsi, en Espagne, l'information abonde sur les attentats de l'ETA et leur
contexte, ainsi que sur les déclarations des personnages publics à ce propos,
mais on informe à grand peine sur le contexte politique et social au Pays
Basque, sur l'histoire récente du nationalisme basque et sur les stratégies
policières de répression de l'aile terroriste, mais aussi de ses
représentations politiques. Des centaines de pages de journaux, des heures de
retransmissions télé et radio, de débats, de discours, d'articles consacrés
chaque jour au conflit, et pourtant la plus grande partie des gens ignore
quasiment tout du fond du problème. Quel meilleur exemple de surinformation
désinformative ?
Un autre exemple plus concret et illustré est extrait de la guerre du Golfe de
1991 : dans une enquête réalisée à Denver (USA) en février 1991 (en pleine
guerre), 81% des personnes interrogées étaient capables de répondre combien de
missiles Patriot avaient lancé "les alliés" contre les Scud irakien
le jour précédent, même seuls 2% savaient que l'une des raisons pour laquelle
l'Irak avait envahi le Koweït quelques mois plus tôt étaient les manoeuvres
koweitiennes pour faire baisser le prix du pétrole (exemple extrait de Oeil sur
les médias, de Michel Collon). La surinformation a pour base : informer
beaucoup (en superficie), informer sur le "comment ?", c'est-à-dire
les "formalités d'usage" (combien de Patriot ? ? ?) et omettre le
"pourquoi" et la contextualisation des événements.
b) Surinformation sur des thèmes communs
Certains sujets anecdotiques et banaux sont l'objet d'une grande attention de
la part des médias, qui les présentent comme de grande importance. L'objet est
de l'attention publique d'autres faits et réalités bien plus importantes pour
la vie des personnes et la société. On détourne l'attention de ces arguments et
oriente vers d'autres moins compromettants pour les pouvoirs dominants : vie
des célébrités, football, scandales de type "affaire Lewinsky" ou
Lady Di... le tout renforcé par la vogue de la télé-poubelle (programmes
"roses", reality-show, "télé-réalité"...). Bref, ces sujets
anecdotiques et de peu d'intérêt ont gagné une place insolite et
malheureusement énorme, envahissant également les couvertures de journaux et
les espaces télévisés d'info générale.
Le thème de la surinformation est intimement lié à la toujours plus grande concentration
des médias dominants, c'est-à-dire que toujours plus de moyens de communication
sont aux mains de toujours moins de personnes. Ainsi une entreprise
multimédiatique est capable de diffuser un même fait, ou une même version d'un
même fait, par une grande diversité de moyens de communication, donnant vie
pour son propre compte à une authentique campagne de surinformation intéressée.
Comme l'a affirmé un des premiers théoriciens de la communication de masse et
de la propagande sociale, Göbbels, le responsable nazi de la dictature
hitlérienne : "Le plus grand mensonge répété 100 fois se transforme en une
grande vérité". La répétition étouffante et martelée d'une info génère la
crédibilité, encore plus elle est réalisée par quantité de médias différents.
Donc, le récepteur tend à croire une version des faits qui semble trouver
consensus au sein des médias, de nombreux informateurs propageant justement la
même version, mais il ignore qu'en réalité tous ces moyens de communication
peuvent appartenir au même groupe (la concentration de moyens de communication
au sein de la holding Fininvest, de Silvio Berlusconi, est sans doute le
meilleur exemple en ce qui concerne l'Europe occidentale).
Par exemple, le groupe de communication espagnol Prisa peut actuellement
diffusé un événement ou une version de celui-ci par l'intermédiaire simultanée
des quotidiens El Paìs et Cinco Dìas, les radios Cadena SER et Antena3 Radio
ainsi que le canal TV Canal Plus ; moyennant les études de l'entreprise de
statistiques Demoscopia et grâce aux monographies de ses éditeurs Alfaguara,
Aguilar, Santillana et Taurus. Puis la surinformation peut s'étendre à d'autres
groupes du fait de la "contagion de l'actualité". Le phénomène de la
surinformation peut répondre à diverses causes selon les cas et les
circonstances. Souvent la surinformation sur un thème banal ou des aspects sans
intérêt d'un sujet répond à des intérêts politiques qui ont leur origine dans
les groupes de pouvoir et de pression, et qui comptent avec la collaboration active
des moyens de communication. N'oublions pas que ceux-ci sont des entreprises
souvent contrôlées par des entités financières ou liées aux groupes
multinationaux étroitement liés avec les cercles du pouvoir.
A ces intérêts politiques s'ajoutent en général des intérêts commerciaux, ce
qui fait que finalement il est souvent difficile de distinguer les causes
réelles d'une campagne de surinformation. Par exemple, la diffusion de faits
banaux mais propices au sensationnalisme et au morbide obtient toujours une
augmentation notoire du suivi et des ventes de la presse ou de l'audiovisuel
(audimat). D'un autre côté, la dure compétition commerciale entre groupes de
médias, ou seulement entre éditions, journaux télévisés, ne peut que porter à
la "contagion de l'actualité", c'est-à-dire que si une entreprise
réussit à rendre d'actualité un sujet particulier, les autres en compétition
devra également le considérer pour ne pas perdre d'audience. De cette façon, le
bombardement informatif qui nous est propagé par un même groupe commercial se
multiplie quand la concurrence directe "suit le courant pour ne pas rester
en arrière".
On pourrait objecter que le fonctionnement de ce système peut être remis en
cause par le journaliste lui-même dont les productions individuelles, réalisées
consciencieusement, devraient pouvoir se démarquer des impératifs imposés par
ce processus médiatique, ou qu'il ouvre la voie à des rivalités de
circonstances à même de provoquer des distorsions dans le rendu de
l'information (versions concurrentes en fonction de ses intérêts). Pourtant,
même si chaque entité donne sa version des faits, conformément à ses intérêts
(et même si parfois leur intérêt coïncident entre eux), on ne peut que
constater que les mass-media parlent constamment des mêmes choses.
Un bon exemple des intérêts tant politiques que commerciaux que l'on peut
trouver derrière une même affaire est le cas Lewinsky : les relations sexuelles
adultères d'un Président (sexe+personnage politique de premier plan) sont
diffusées pour des raisons politiques (par l'opposition républicaine qui veut
en salir l'image et bloquer le vote de certains crédits) avec une telle
intensité que même certains médias considérés comme "alliés"
(c'est-à-dire pro-démocrates) se sont vus obligés de traiter le sujet
(contagion nécessaire). En Espagne, on peut expliquer l'intense diffusion d'un
événement qui regarde avant tout la politique interne américaine (quoique une
nouvelle forme de politique guidée par la mise en scène du Spectacle) non par
les intérêts politiques de tel ou tel, mais bien des intérêts commerciaux : le
contenu morbide de l'affaire a beaucoup fait vendre.
Un autre cas plus proche fut celui des trois jeunes filles séquestrées,
violentées et assassinées à Alcàsser vers la fin de 1992. Un fait sans aucun
doute terrible, mais somme toute similaire aux quelques milliers de crimes du
genre qui arrivent chaque année en Espagne sans atteindre une telle diffusion.
Le triple crime d'Alcàsser fut si intensément diffusé et exploité par les
médias qu'en une semaine le phénomène provoquait l'alarme sociale. L'événement
se produisit justement quand les reality-show commençaient à gagner une grande
popularité, raison pour laquelle l'origine de cette hystérique campagne de
surinformation a des raisons basiquement commerciales : ce type de programme a
trouvé le cas parfait pour son "baptême du feu", grâce auquel il
atteint une audience jusque là inégalée.
Peu après, l'affaire fut également reprise par les espaces d'information
générale (presse quotidienne et journaux télévisés) avec une connivence
("les jaunes") journalistique sans précédent. Pour des raisons
commerciales probablement, c'est-à-dire pour exploiter au maximum l'audience
dégagée par les talk-show. Mais aussi pour des raisons politiques car l'alarme
sociale fut telle que le gouvernement du PSOE, avec M. Corcuera à l'Intérieur,
en profita pour agir contre la magistrature et introduire, avec l'appui d'une
opinion publique sensibilisée, des modifications qui introduirent le principe
de permis pénitentiaires dans le projet de réforme du code pénal.
Même si, selon de nombreux juristes, de telles modifications (qui appuyaient la
ligne de Corcuera et de sa très critiquée loi de Sécurité Citadine : "Loi
Corcuera") violaient l'état de droit, le PSOE s'est appuyé sur l'alarme
sociale pour les introduire.
De : Information wants to be free!
vendredi 26 mars 2004